Épisode 4 - "A voté !" : 89 député•es RN plus tard, on fait le bilan avec UGO Palheta

Les élections présidentielles et législatives sont passées. Emmanuel Macron a été élu face à Marine Le Pen pour la seconde fois depuis 2017. Pourtant, l’extrême droite n’est jamais sortie aussi victorieuse d’une élection. Elle sort de ces dernières législatives forte de 89 députés, et le RN devient ainsi le premier parti d’opposition au parlement : du jamais vu. Se retrouvant entre un bloc d’union de la gauche et un bloc d’extrême droite, le camp présidentiel se retrouve sans majorité absolue à l’Assemblée Nationale.

À La Clameur, nous nous sommes interrogées sur les raisons de ces résultats, et de ce qu’ils peuvent bien dire des 5 prochaines années. Comment expliquer la montée de l’extrême droite ? Quels impacts sur la politique du pays ? La gauche est-elle prête à répondre à cette situation ?

Nous avons suivi, pour Sabotage, ces derniers mois d’élections. Et on en a dit beaucoup de choses. L’occasion pour nous d’y revenir.
Dans ce nouvel épisode de Sabotage, nous avons le plaisir de recevoir Ugo Palheta, sociologue au CNRS, et auteur de nombreux ouvrages à propos de l’extrême droite. Le dernier en date, « Défaire le racisme, affronter le fascisme » est paru aux éditions La Dispute.

Coordination : Pauline Moszkowski Ouargli

Ecriture : Louise Bihan

Réalisation : Sarah Baqué

Production : Prisca Rakotomanga

Montage et mixage : Jordan Berrabah

Habillage musical : Marie Lou HV

Création du visuel : @les.mal.entendus

Transcription

Sabotage
Episode 4

[bruits de rue, personnes qui scandent]
La Clameur ! La Clameur ! La Clameur !

[Mélissa Andrianasolo]
La Clameur…

[femme]
… podcast…

[homme]
… social…

[Mélissa Andrianasolo]
Club !

[générique]
[musique]
[homme]
Le peuple a été sali !

[homme]
Monsieur Dupont-Aignant.

[femme]
… respecte les valeurs de la République.

[Jacques Chirac]
Le bruit… et l’odeur !

[homme]
Vous avez assez de cette bande de racailles !

[femme]
Refaire… [inaudible]

[bruits de manif]
[bruits de personnes qui crient en cœur en manif]
Punch a nazi in the face!

[homme]
La justice contre l’extrême droite elle se fera dans la rue !

[femme]
Sabotage, substantif masculin. Action de détérioration, de destruction parfois violente, visant à rendre inutilisable un matériel. Il s’agit d’une manœuvre ayant pour but la désorganisation et l’échec d’un projet.

[Louise Bihan]
Ça y est, les élections sont finies en France, pour deux ans au moins. Emmanuel Macron a été réélu pour cinq ans, mais il n’a pas eu la majorité absolue lui permettant de faire passer ses lois sans négociation avec l’opposition. La coalition de la majorité présidentielle, nommée Ensemble, a obtenu 245 sièges contre 289 requis pour avoir cette fameuse majorité absolue.
Une union de la gauche, la NUPES pour Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, a pu obtenir en tout 131 sièges. La gauche réunie devient se faisant le premier groupe d’opposition à l’Assemblée Nationale.
Mais pas le premier parti. Car le Rassemblement National a obtenu lui 89 sièges. Et pour la première fois de son histoire, il obtiendra un groupe à l’Assemblée sans proportionnelle.
C’est inédit, et inquiétant.
Comme beaucoup d’autres médias, nous n’avons pas vu venir cette montée fulgurante du Rassemblement National. Alors, on se demande bien comment on peut analyser tout ça. Pour finir cette première saison de Sabotage, nous sommes allé.es nous entretenir avec Ugo Palheta. Il est sociologue, maître de conférences à l’université de Lille, et chercheur au CNRS. Il est l’auteur de nombreux ouvrages à propos de l’extrême droite. Le dernier en date, « Défaire le racisme, affronter le fascisme », une série d’entretiens avec Omar Slaouti, conseiller municipal à Argenteuil, est paru en avril dernier, aux éditions La Dispute.

[musique]

[Louise Bihan]
Ugo Palheta, dans un premier temps, comment peut-on expliquer le résultat de ces législatives, et en particulier, l’arrivée de 89 députés d’extrême droite dans cette nouvelle assemblée ? Est-ce qu’on peut considérer qu’il y a une responsabilité de la majorité présidentielle, notamment de par sa position pendant la campagne, dans ce résultat inédit ?

[Ugo Palheta]
Alors oui, juste pour revenir sur le groupe qu’ils avaient eu en 1986, c’est un détail mais ils avaient eu ce groupe uniquement parce que Mitterrand avait imposé l’élection à la proportionnelle, pour diviser la droite et l’extrême droite, affaiblir la droite, ce qui était une de ses stratégies dans les années 80.
Mais je dis ça parce que c’est effectivement historique et en réalité on évoque souvent le précédent en 1986, mais en réalité il n’y a pas de précédent, sur ce mode de scrutin, de situation passée dans laquelle l’extrême droite serait parvenue à obtenir autant de députés.
De manière assez simple, ce qu’il s’est passé c’est que antérieurement, dans des duels ou dans des triangulaires aux législatives, le FN perdait dans la quasi totalité des cas, des situations. Donc c’était ce qu’il s’était passé en 2017 où finalement les scores du FN n’étaient pas radicalement différents au premier tour de ce qu’ils ont été en 2022, mais au deuxième tour ils avaient perdu quasiment tous leurs duels ou toutes les triangulaires dans lesquelles ils étaient, alors que là ils ont gagné dans 40 % des cas.
Ils étaient présents, si je ne m’abuse dans un peu plus de 200 circonscriptions au deuxième tour, et ils ont donc gagné 89 fois, donc 89 députés, voilà donc c’est ça qui a changé c’est qu’ils sont passés d’un taux de réussite au deuxième tour de je crois autour de 6 % à un taux de 42 %, voilà.
Et donc ce qui s’est joué ce n’est pas tant l’élargissement, même s’il existe, de l’audience de l’extrême droite, ça on l’aurait vu au premier tour et ce n’est pas vraiment, ça n’a pas vraiment été le cas finalement par rapport à 2017, un petit peu mais pas tant que ça, ça ne peut pas expliquer le passage de 8 députés à 89 députés, bon. Ce qu’il s’est passé c’est dans l’entre-deux tour, ce qui s’est joué notamment du côté de l’électorat de droite, que ce soit l’électorat LR [nldr : Les Républicains], qui pour une bonne partie d’entre eux et d’entre elles se sont, ont voté pour le RN au second tour, notamment quand le RN était opposé à la gauche, à la NUPES en l’occurrence, la coalition de gauche. Et du côté de l’électorat macroniste qui lui s’est massivement abstenu et globalement a voté, quand il a été voté, a voté à peu près autant pour la NUPES que pour le RN dans les cas de duels entre la NUPES et l’extrême droite.
Donc voilà, donc effectivement ce qui se joue est plutôt ce qui se joue du côté de l’électorat de droite et là, donc il faut incriminer je dirais 20 ans de politique d’extrémisation de la droite, qui ont commencé avec Sarkozy quand il a été Ministre de l’Intérieur en 2002, et il a mené pendant dix ans visant à chasser sur les terres de l’extrême droite de manière très systématique, pour prendre son électorat au FN mais in fine cette politique a profité au FN. Notamment à partir du moment où Marine Le Pen a pris les rênes du parti en 2011. Et dans la dernière période, ce qui a profité au RN effectivement, c’est le fait que la majorité macroniste a aussi été sur le terrain de l’extrême droite, à la fois par les politiques qui ont été menées, je pense à diverses lois, la loi asile immigration, la loi sécurité globale, ou la loi dite séparatisme. Et a été sur le terrain de l’extrême droite aussi en termes de langage, en termes de vision du monde en quelque sorte, avec notamment la reprise par deux ministres macronistes, Blanquer et Vidal de l’expression d’islamogauchisme, qui vient de l’extrême droite et qui vise à disqualifier la gauche, en la rendant complice du terrorisme, de l’islamisme, etc.
Donc tout ça mis bout à bout fait que, et bien il y a une banalisation, une normalisation de l’extrême droite qui fait qu’une partie de l’électorat au second tour, notamment l’électorat de droite, peut sans problème aujourd’hui voter pour l’extrême droite, y compris pour faire barrage à la gauche ! Et ce qui se… ce qui est en train de se constituer même médiatiquement, politiquement depuis quelques années, c’est une sorte de nouveau front républicain, non plus contre l’extrême droite, mais contre la gauche, et on l’a vu à travers les discours de certains ministres macronistes. On comprend que finalement c’est… là pour trouver une majorité sur les textes dans la période qui va venir, ne pas se trouver bloqué par la crise institutionnelle ouverte par le deuxième tour des législatives, le fait qu’ils n’aient pas de majorité absolue à l’Assemblée, et bien ils vont être amenés, ils sont amenés déjà à faire des clins d’œil au FN, à dire qu’ils peuvent trouver des majorités avec le RN, et à considérer que d’une certaine manière, l’ennemi principal c’est la gauche !
Voilà donc effectivement, il y a une responsabilité très importante de ce que moi j’ai appelé dans mes différents travaux, et en reprenant cette expression d’autres, mais l’extrême centre néolibéral qui n’est pas du tout un barrage à l’extrême droite néo-fasciste mais qui en est le marchepied.

[musique]

[Louise Bihan]
Comment peut-on expliquer la stratégie adoptée depuis au moins Nicolas Sarkozy, qui est de gratter l’électorat de l’extrême droite sur ses propres terres ? Pourquoi elle n’a pas vraiment fonctionner pour freiner la montée de l’extrême droite et enfin, est-ce qu’on n’assisterait pas à la fin du Front Républicain ?

[Ugo Palheta]
Alors du côté de Macron c’était surtout je pense, l’idée, à partir de 2017, d’aller essayer de consolider son assise en allant vers les électeurs qui avaient voté Fillon en 2017, et qui était un vote très conservateur, très islamophobe, disons déjà pas très loin de l’extrême droite. Donc Macron son pari en quelque sorte a été de dire,  « il ne reste plus rien à ma gauche, je vais aller sur ma droite, pour élargir mon, le, ma base sociale » quoi.
Et ça a été un demi succès puisque de fait il a été réélu en 2022, donc de son point de vue c’est un succès, mais c’est un demi succès au sens où non seulement l’extrême droite a progressé entre temps, ce qui était prévisible. Et un demi succès aussi parce qu’en fait contrairement au pari sans doute, et à l’hypothèse de Macron il y a quelques années, et même l’hypothèse qui aurait été sans doute la plus, la plus crédible il y a quelques mois, la gauche est réapparue dans le tableau politique en fait, via le gros score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle au premier tour, autour de 22 %, et via la constitution de la NUPES qui a permis en fait à la gauche, pas tellement de progresser en voix mais de progresser en nombre d’élus ! De manière vraiment très nette !
Bon, donc en réalité, Macron est réélu, mais c’est assez clairement un demi succès puisqu’il n’a pas de majorité absolue et il a deux fortes oppositions, une à l’extrême droite, et une à gauche. Et en plus une gauche qui s’est, qui est hégémonisée entre guillemets, par plutôt la gauche de rupture, qui est fondée sur des idée de rompre avec le néo-libéralisme, le productivisme, les mesures les plus autoritaires qui ont été prises ces dernières années, etc. etc.
Après, sur le temps long, la stratégie consistant à aller sur les terres de l’extrême droite et donc de tenir des discours racistes, xénophobes, ultra-sécuritaires etc., ne fonctionnait que parce qu’il y a un terrain pour ça, un terrain ou un terreau. Et ce terreau c’est le terreau d’une société qui est profondément structurée par le racisme, sur des siècles en réalité, et ça laisse des traces. Ça ne pourrait pas marcher si on existait dans une société qui n’était pas aussi profondément structurée par le racisme en fait.
Quand on est affaibli politiquement, on va avoir tendance à lancer une polémique raciste dans le débat public, dans le débat médiatique, stratégie très courante et en même temps ça n’a des chances de marcher que parce la société française a un gros problème sur ces questions-là, qui tient en partie à, à la fois la structuration historique de très long terme, et au fait que sur les cinquante dernières années la question coloniale a été systématiquement marginalisée et elle n’a pas été prise au sérieux, notamment à gauche en fait ! La critique anti-coloniale et anti-raciste a été très affaiblie par ce qui aurait dû être le camp politique ou en tout cas le camp politique qui aurait dû prendre en charge cette question a été faible ou voir a complètement trahi sur certains aspects.
Donc voilà on se retrouve dans une situation où la droite peut user de cette corde régulièrement et avec des chances de succès parce que dans la société française il y a du répondant pour ça, ce type de politique raciste, ultra-sécuritaire, réactionnaire, etc.

[musique]

[Louise Bihan]
Comment peut-on expliquer le succès, comme vous le dites, de l’extrême droite, et le fait que ses idées sont de plus en plus reprises largement en France, au-delà même de son propre camps politique ?

[Ugo Palheta]
Disons qu’historiquement la France, par rapport à d’autres pays, se caractérise par un anti-colonialisme qui était faible. Déjà, c’est anecdotique, mais quand le parti communiste a été créé, et l’internationale communiste suite à la révolution russe etc., les révolutionnaires russes, Lénine, Trotsky, etc. se plaignaient que les communistes français avaient une mentalité trop colonialiste, et qu’ils n’adoptent la politique résolument anti-coloniale qui était celle décidée par l’internationale etc. C’est une vieille affaire ! C’est que l’anti-impérialisme, l’anti-colonialisme, l’anti-racisme de fait ont systématiquement été faibles dans l’histoire politique française, à gauche, par rapport à d’autres pays où ces tâches-là, où ces dimensions-là du combat pour une autre société ont été plus davantage pris au sérieux, y compris dans la gauche américaine… bon pour différentes raisons évidemment mais où la question raciale a été davantage prise au sérieux, le parti communiste américain a eu une politique très volontariste dans l’entre-deux guerres sur ces questions-là, etc. bon.
En France ça n’a clairement pas été le cas, les… on le voit même sur la guerre d’Algérie, le parti communiste, le SFIO [ndlr : Section française de l’Internationale ouvrière] le pari socialiste a eu une politique extrêmement coloniale, pour l’essentiel, une toute petite minorité de la gauche de la SFIO à l’époque et le parti communiste français a eu une politique très ambiguë, où il a été amené même, y compris, à voter les pleins pouvoirs à Guy Mollet pour mener la guerre en Algérie etc. bon.
Donc ça ce sont les racines en quelque sorte historiques, mais en gros jusqu’à maintenant il y a une difficulté énorme de la gauche, non seulement à prendre au sérieux ces questions-là, mais à adopter des positions qui les rangent du côté de ceux et celles qui subissent l’oppression raciste, et même, mais ça se voit aussi sur les questions internationales et l’absence par exemple de mouvements anti-guerre en France ! Ou la faiblesse en tout cas des mouvements anti-guerre en France ! A l’heure actuelle c’est quasiment l’absence. Mais si on comparait même il y a vingt ans quand il y avait la guerre en Irak, la France a été le pays où les manifestations étaient les plus faibles, même si elles étaient relativement importantes, mais comparées à l’Angleterre ou à l’Italie, ou même à l’Espagne, c’était clairement plus faible.
Donc voilà, il n’y a pas de fatalité, et il y a des pro… il y a certains progrès je dirais, et d’une certaine manière la campagne de Mélenchon a acté certains progrès sur notamment la question de l’islamophobie. Et le fait que l’essentiel de la gauche se soit retrouvé le dix novembre 2019 en soutien aux musulmans et musulmanes qui étaient l’objet de… où il y avait eu des attentats, notamment l’attentat de Christchurch en Nouvelle Zélande, mais aussi l’attentat, l’attentat à Bayonne où un ancien militant du FN avait tenté de tuer des fidèles et il en avait blessé gravement d’ailleurs deux. Donc voilà il y avait eu une large mobilisation donc voilà c’est la première fois qu’on retrouvait l’essentiel de la gauche sociale et politique au côté de milliers, voire de dizaines de milliers de musulmans et de musulmanes, dans la rue, bon voilà c’était complètement inédite par rapport à vingt ans d’attaques islamophobes.
Donc c’est un chemin escarpé (rires) je dirais mais en même temps on ne pourra pas y couper. Si on veut durablement affronter la montée du fascisme il va falloir prendre au sérieux cette question du racisme, c’est ce qu’on essaie de faire d’ailleurs, ou en tout cas le type de question qu’on essaie de poser dans le livre qu’on a fait avec Omar Slaouti, qui est un livre d’entretiens paru il y a quelques mois, ça s’appelle « Défaire le racisme, affronter le fascisme », c’est on ne peut pas affronter le fascisme si on ne prend pas au sérieux centralement la question du racisme dans toutes ses ramifications. Ce qui n’est pas la seule question mais ça ne se réduit pas simplement à dénoncer le racisme des électeurs du Front National ou les électeurs du Rassemblement National, c’est une question beaucoup plus ample, beaucoup plus profonde, et qui va prendre en réalité potentiellement des décennies pour décoloniser la société française, ses institutions, ses mentalités, etc.

[musique]

[Louise Bihan]
Quelle est la stratégie du Rassemblement National vis à vis de ce qu’un homme comme Eric Zemmour appelait l’union des droites, et vis à vis du camp LR ?

[Ugo Palheta]
Une grande partie des cadres en fait du RN actuel ce sont des gens qui viennent de Debout la France, c’est Dupont Aignan qui est lui-même un transfuge en réel de la droite traditionnelle française, de la droite gaulliste française. Marine Le Pen a, a affronté ou en tout cas, oui son manque de cadres en allant du côté du mouvement de Dupont Aignan ! Et par ailleurs aussi du côté de LR hein ! Mariani est un ancien ministre de Sarkozy…
Bon il n’y en a pas encore énormément mais en réalité le FN actuel est déjà une forme d’union des droites quoi. Même si le discours global est toujours plus ou moins celui du ni droite ni gauche, ou et de droite et de gauche, mais sur la sauce Marine Le Pen quoi, mais en réalité il n’y a pas de gens de gauche là-dedans ! (rires)
En réalité les transfuges d’ailleurs de la gauche vers le FN sont très rares, et il y en a très peu, et ils sont très médiatisés, c’est la responsabilité d’ailleurs des médias d’aller dans le sens de Marine Le Pen, de précisément de surmédiatiser les cas, les très rares cas de gens qui viennent de la gauche et qui rejoignent le RN. Mais globalement le RN attire et est déjà en train d’attirer à lui, et je pense que ça va s’accentuer au fil des années, à mesure que justement LR est complètement écrasé entre la Macronie et le RN, donc il va y avoir des défections du côté du RN.
Sa stratégie, c’était en quelque sorte « j’ai sécurisé un bloc électoral notamment dans les classes populaires de certaines régions, et dans certains fractions des classes populaires maintenant il faut que j’élargisse mon électorat à des franges de l’électorat de la droite traditionnelle » et donc se tourner vers les électeurs de Fillon quoi, ils se sont en quelque sorte battus pour les 20 % qu’avait fait Fillon en 2017. Et les deux en quelque sorte, aussi bien Macron que Le Pen ont effectivement récupéré une partie de l’électorat de la droite traditionnelle. Si Pécresse s’est retrouvée aussi bas, en dessous de 5 % c’est qu’en fait son électorat est parti des deux côtés quoi, et des gens qui auraient peut-être pu voter d’ailleurs Zemmour mais qui au vu des rapports de force électoraux se sont reportés sur Marine Le Pen, dans une logique de vote utile à droite, et en l’occurrence à l’extrême droite.

[musique]

[Louise Bihan]
Ugo Palheta, Marine Le Pen cherche à la fois à attirer toujours plus les électeurs et les électrices des classes populaires, mais en même temps elle cherche aussi à attirer l’électorat de la droite dure, plutôt du côté François Fillon, plutôt bourgeois. Comment elle s’y prend et comment on peut expliquer cette contradiction ?

[Ugo Palheta]
Alors oui il y a une forme de contradiction mais qui n’est pas si forte pour au moins deux raisons qui sont que l’électorat populaire qui vote pour le FN, pour le RN aujourd’hui n’est pas en réalité, ce ne sont pas les franges des classes populaires qui sont les plus à gauche, loin de là. Ce sont plutôt d’après les enquêtes les franges des classes populaires qui sont les plus hostiles au mouvement syndical par exemple, qui sont souvent plutôt dans les petites entreprises justement où il n’y a pas de syndicat, qui sont les plus en gros dépendants d’un petit patron, et proche de leur patron, plutôt rural ou de petite ville.
Donc ce n’est pas un électorat qui attend nécessairement des mesures sociales très fortes. Politiquement il y a toujours eu un électorat populaire qui votait y compris à droite !
Et l’électorat populaire qui vote pour Marine Le Pen est un électorat qui, y compris quand on lui demande pourquoi il a voté pour Marine Le Pen, ne mentionne pas en premier lieu les questions sociales, la question des inégalités. La question des inégalités arrive très loin dans les motifs de vote par rapport, pour l’extrême droite hein, par rapport à l’immigration, l’insécurité, le terrorisme, les questions d’identité etc.
Bon alors , ce qui est mentionné c’est la question du pouvoir d’achat et là, c’est là où il y a une imposture ! En réalité, les seules mesures, la principale mesure sur le pouvoir d’achat de Marine Le Pen, c’est de dire on va vous reverser sous forme de salaire ce qui vous est pris actuellement sous la forme de cotisations. Et donc en fait on va vous donner d’un côté ce qu’on va vous prendre de l’autre. Ce qu’on va vous prendre sous la forme de la Sécurité Sociale en fait, et l’idée c’est que les pertes pour la Sécurité Sociale vont être recompensées, parce que si on prend sur les cotisations et qu’on les donne sous forme de salaire, ces cotisations ne vont plus aller dans les caisses de la Sécu et donc il va bien falloir compenser, et donc en gros le discours de l’extrême droite c’est de dire on va compenser en prenant sur les étrangers en fait.
Ce qui en fait n’est pas crédible, peu importe le type d’estimations qu’on prend, ça ne pourrait pas compenser. Et donc en réalité ça aboutirait assez nécessairement à la fin de la, très rapidement, de la Sécurité Sociale, telle qu’on l’a connue ou telle qu’on la connaît encore aujourd’hui, même si elle a été fortement attaquée ces dernières décennies.
Donc voilà, il y a effectivement une contradiction, mais qui est en quelque sorte résolue par tout un discours par ailleurs corporatiste, qui est le vieux discours de l’extrême droite, selon lequel les classes ont des intérêts communs, et qu’elles doivent travailler ensemble dans l’intérêt supérieur de la Nation, que la lutte des classes ce n’est pas bien, que bon voilà. Et qui est voilà le vieux discours de l’extrême droite, c’est d’une certaine manière c’est la nation est la solution et donc ça peut plaire à beaucoup de gens.
Par ailleurs le FN s’appuie sur le fait que dans les classes populaires il y a, en tout cas dans pas mal, dans des franges entières des classes populaires, on n’a pas, ça ce sont les sociologues des classes populaires qui nous l’ont montrés, notamment Olivier Schwartz et d’autres, qui ont montré que la conscience de classe en quelque sorte, dans les classes populaires n’est pas nécessairement bipolaire, au sens de eux et nous, ceux d’en haut, ceux d’en bas. Elle est triangulaire, elle est triangulaire dans le sens où il y a nous, les gens modestes, les gens qui travaillent, la France qui se lève tôt, les gens qui travaillent dur, les gens honnêtes, les citoyens ordinaires, etc.
Donc il y a nous, il y a ceux d’en haut, et il y a ceux en-dessous de nous, qui sont perçus comme menaçants, qui sont perçus aussi comme profitant du système, les assistés. Et cette figure de l’assisté, ou de ceux ou celles qui vivent des allocs en quelque sorte, pour reprendre un discours courant, c’est une figure qui est, qui est en grande partie racialisée. Les assistés ce sont les autres, et les autres ce sont les autres racialement, les immigrés, les descendants d’immigrés, sont perçus comme ceux qui profitent du système, les minorités, et c’est quelque chose qui est mondial en réalité.
Aux États-Unis vous avez un discours depuis les années 70 sur ce qu’on appelle la wellfare queen, c’est l’idée voilà de la femme qui vit avec ses enfants, avec beaucoup d’enfants, et qui vit en quelque sorte royalement, une queen, wellfare queen, des aides sociales. Et c’est une figure qui est racialisée au sens où en gros c’est la, les femmes africaines américaines, afro-américaines qui sont visées à travers cette catégorie, catégorie qui avait été beaucoup diffusée par Reagan dans les années 80.
Voilà donc c’est… d’une certaine manière on constitue une partie des classes populaires, la partie la plus précarisée, la plus paupérisée, on la construit en tant que menace, en tant que parasite, il y a des décennies en quelque sorte d’opérations idéologiques qui ont fait des assistés la principale menace pour la société française, et pour les citoyens ordinaires, ceux qui travaillent dur, la France qui se lève tôt etc.
Et donc Marine Le Pen et le FN s’appuient beaucoup sur ça, en fait, sur cette conscience triangulaire en quelque sorte, puisque eux ils ne pointent en réalité pas, les élites dans le discours de l’extrême droite ne sont pas critiqués en tant que telles, les élites ne sont pas celles, les classes qui exploitent ou qui dominent ou oppriment, etc. C’est… ce qu’on leur reproche dans l’extrême droite c’est d’ouvrir la France aux quatre vents, de la mondialisation, etc. Mais on ne leur reproche pas d’être des élites en fait, ou dominantes, puisque dans la vision fasciste ou néo-fasciste du monde, c’est bien qu’il y ait des dominations, en tout cas c’est normal, ce n’est pas un problème du tout, au contraire il faut que chacun… Il y a des hiérarchies naturelles et donc il faut que ces hiérarchies soient respectées etc. Le patron doit dominer, doit exploiter, exploiter évidemment ce n’est pas le terme qui est employé par eux, mais il doit exercer sa domination, c’est normal etc.
Et donc, donc en réalité ce que font, ce que fait l’extrême droite c’est construire une fraction des classes populaires comme ennemie, là il n’y a pas plus deux camps, il y a trois camps, et on amène un camp à regarder vers l’autre d’une certaine manière en épargnant en quelque sorte ceux d’en haut.

[musique]

[Louise Bihan]
Donc on pourrait dire que le Rassemblement National arrive à convaincre une partie des classes populaires qui ne se reconnaissent pas dans ce qualificatif ?

[Ugo Palheta]
Disons que moi je suis pour qu’on critique l’assimilation du vote FN à un vote populaire, pour deux raisons. D’abord parce que ça sous estime l’ancrage de l’extrême droite en France comme à l’étranger dans les classes moyennes et dans les classes supérieures, en tout cas dans certaines fractions des classes moyennes et certaines fractions des classes supérieures, qui peut être même très important.
Les gens qui par exemple ont pris d’assaut le Capitole [ndlr : assaut du Capitole le 6 janvier 2021], n’étaient pas des prolétaires pour une grande partie d’entre eux ils avaient des bonnes positions sociales, etc. Les gens qui soutiennent Bolsonaro au Brésil sont plutôt les classes supérieures et les classes moyennes. Les plus exaltés partisans de Bolsonaro sont plutôt des gens des classes moyennes qui ont peur de perdre leurs privilèges vis à vis de la classe travailleuse etc.
Ça c’est le premier élément, c’est qu’il y a un fort soutien dans certaines fractions des classes moyennes et supérieures pour l’extrême droite, l’autre élément c’est l’abstention. Donc quand on fait du vote FN par exemple populaire, ou le vote des classes populaires, ou qu’on fait du FN le parti des classes populaires, on méconnaît ces deux éléments. A la fois l’ampleur de l’abstention dans les classes populaires et l’ampleur du soutien dont peut bénéficier l’extrême droite dans d’autres classes que les classes populaires. Et y compris on a vu que par exemple Zemmour a pu faire des très bons scores dans des zones particulièrement bourgeoises de l’est parisien, ou du sud-est de la France au moment des présidentielles.
Mais voilà, moi je pense qu’il ne faut pas non plus méconnaître, ou sous-estimer le fait que l’extrême droite a construit une base populaire, ce ne sont pas toutes les classes populaires mais ce sont certaines fractions effectivement des classes populaires. Au cours des dernières décennies, une chose que l’on ne dit jamais parce qu’on ne prend pas suffisamment au sérieux la question raciale en France c’est que ce sont déjà des fractions blanches, des classes populaires, les fractions non blanches ne votent quasiment pas pour l’extrême droite, pour des raisons qui peuvent paraître assez évidente. Et par ailleurs ce sont des fractions qui sont effectivement, des fractions des classes populaires qui sont plus présentes dans les petites villes et les milieux ruraux, ça ne veut pas dire là encore qu’on vote nécessairement, ou que toutes les classes populaires des milieux ruraux ou des petites villes votent pour le FN, mais le vote populaire pour le FN est plus fort dans ces zones géographiques-là, dans les zones désindustrialisées, donc en déclin économique et social, également, qui sont un peu les mêmes zones en l’occurrence, du nord et de l’est de la France. Donc il y a toute une série de facteurs assez complexes et qui peuvent expliquer le vote pour l’extrême droite.
En face, ils ont un programme extrêmement virulent contre les classes populaires, je veux dire Marine Le Pen peut apparaître comme sociale sur la question des retraites alors même qu’elle ne réclame pas le retour à la retraite à 60 ans pour tous et toutes, et parce que Macron propose la retraite à 65 ans et qu’elle s’y oppose. Mais en réalité elle n’avance pas de propositions sur cette question-là comme sur d’autres, qui permettraient d’améliorer fortement ou même un tant soit peu les conditions de vie des classes populaires. Par contre comme Macron se propose de les détériorer fortement, le simple fait de ne pas aller sur ce terrain-là fait qu’elle apparaît comme sociale !

[musique]

[Louise Bihan]
Comment la présence de 89 députés Rassemblement National à l’Assemblée va impacter les mobilisations sociales qui vont venir sur les cinq prochaines années ?

[Ugo Palheta]
Je ne suis pas sûr que pour les mobilisations sociales ça change grand chose qu’il y ait 89 députés FN, disons de manière immédiate. Ce qui est certain c’est que ça va ouvrir une nouvelle étape de normalisation du FN parce que ce qu’il leurs manquait c’était ça ! C’est d’avoir des postes d’élus assez nombreux, montrer qu’ils sont entre guillemets compétents, ou qu’ils sont sérieux, c’est là leur arme.
A moins que justement ils apparaissent de manière systématique pas sérieux, qu’il y ait plein de couacs, etc. Bon ce qui est possible, mais voilà c’est un élément très fort pour la majorité de la population, pas forcément hyper politisée, de normalisation, « ah ils sont dans les institutions, c’est bien la preuve qu’ils sont aussi légitimes que les autres » mais en gros qu’ils ne sont pas particulièrement dangereux contrairement à ce qu’on a pu dire pendant tant d’années etc. Donc voilà ça va encore un peu plus les banaliser ça c’est évident.
Après les défis pour la gauche qui sont extrêmement nombreux et je ne pourrais pas les énumérer tous mais il y en a un qui me vient là tout de suite par rapport à ce qu’on s’est dit, c’est que, je vais le dire sous forme de question. Cest comment ne pas laisser à l’extrême droite ces franges des classes populaires qui votent RN, et qui pour une partie d’entre elles votent régulièrement pour le RN, dans le sens où ils ne transigent ou ils ne passent pas d’un vote à un autre, ils votent systématiquement pour le FN à chaque élection, je ne parle pas, j’insiste, de toutes les classes populaires, loin de là.
Les électeurs du FN sont très stables, dans leur vote. Comment s’adresser à cet électorat sans aller sur le terrain politique du RN ? C’est à dire comment on fait pour s’adresser à eux sans manger son chapeau, sans reprendre des propositions du RN ? Parce que c’est la tentation depuis des décennies, et en réalité a abouti à un échec absolu qui est à chaque fois, de la part de gens de gauche, ou de droite, qui est « on va parler aux électeurs du FN mais en fait on va parler le langage du FN ». Et en réalité, Jean-Marie Le Pen le disait, c’est les gens finissent par préférer l’original à la copie.
Ça il ne faut pas le faire ! C’est évident (rires), donc voilà il y a une bataille politique, culturelle en quelque sorte à mener qui va prendre voilà sans doute des décennies. Et je pense qu’il faut s’adresser à ces fractions des classes populaires en se disant aussi qu’il y a tout ceux et toutes celles qui arrivent en quelque sorte, qui sont jeunes, qui ont quinze, vingt ans, vingt-cinq ans, et qui ne sont pas forcément pour le coup [inaudible] sur un vote d’extrême droite et à qui il faut réussir à s’adresser, mais pas en reprenant tels ou tels proposition ou élément de langage etc.
Après il y a, je pense, dans le succès du FN, il y a un élément important, c’est la crise de la gauche, c’est la crise de l’alternative. Et on ne parviendra pas à faire reculer durablement le FN uniquement par des manifestations par exemple anti-FN, c’est important qu’il y ait des manifestations contre l’extrême droite, qu’il y ait une activité contre, spécifiquement contre l’extrême droite, donc anti-fasciste, qu’il y ait un décryptage anti-fasciste qui soit fait des arguments du FN, des réfutations de leurs propositions etc.
Bon c’est très important, c’est ce que fait d’ailleurs le mouvement syndical en partie qui montre l’imposture sociale des propositions du FN etc, mais il faut le faire avec sans doute même plus de constance et essayer de donner plus de visibilité à ça, mais ça ne suffira pas !
Il faut une proposition politique alternative, il faut qu’il y ait une force hégémonique ou à prétention, à vocation hégémonique, qui émerge à gauche, bon. Et c’est ça la force en quelque sorte de Mélenchon sur les dernières années, c’est que par rapport à d’autres il a eu cette visée hégémonique, contre hégémonique en tout cas cette visée qui n’est pas simplement de résistance, après on aime ou n’aime pas le personnage, ce n’est pas tellement le problème. Mais en tout cas c’est dans cette posture-là à mon sens que devrait être la gauche, une posture de victoire, une posture de nous ne sommes pas condamnés à la défaite, et nous pouvons changer la société, par des victoires sociales, des mobilisations mais aussi par la popularisation d’un projet politique de rupture avec toutes les politiques qui ont été menées depuis des décennies.
Parce qu’en fait on ne parviendra pas à regagner durablement des gens qui ont pu être amenés à voter pour le FN plus ou moins régulièrement si on ne prouve pas dans la pratique c’est à dire par une pratique de pouvoir, qu’on peut améliorer les conditions de vie des classes populaires les conditions de travail, et en même temps accueillir par exemple dignement des réfugiés, accueillir plus de réfugiés que ce qui a été fait par la France au cours des dix dernières années. Qu’on peut voilà assurer une existence décente à tout le monde en quelque sorte, ce n’est pas contradictoire d’étendre, y compris d’améliorer la Sécurité Sociale et les services publics et en même temps accueillir largement et dans de bonnes conditions ceux et celles qui fuient la guerre, la misère etc.
Puisque c’est un des ressorts très puissants du vote pour le FN, de considérer que pour améliorer la situation des Français, il faudrait s’en prendre à ceux qui sont considérés comme étrangers, dont une partie ne sont pas étrangers juridiquement d’ailleurs. Des gens qui sont descendants d’immigrés, nés en France etc. mais qui sont perpétuellement considérés comme étrangers parce que originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne etc. et qui subissent des discriminations de fait.
Il y a cet élément qui est à mon sens très important et qui va être très important dans les années à venir. Est-ce que la gauche est en capacité de redevenir une puissance hégémonique, contestant l’hégémonie néo-libérale qui est déjà pas mal effritée, et contestant l’hégémonie ou la montée des idées d’extrême droite dans le paysage politique, médiatique, etc.
Et là on va avoir face à nous des vraies puissances ! Et potentiellement on peut avoir face à nous l’alliance des deux blocs, néo-libéral et néo-fasciste, ça pourrait très bien arriver dès lors que la gauche précisément serait en capacité de gouverner.

[musique]

[Louise Bihan]
Est-ce que l’alternative à gauche dont vous parlez depuis toute à l’heure elle pourrait être incarnée par la NUPES par exemple ?

[Ugo Palheta]
Il y a plein d’obstacles au fait que la NUPES, la Nouvelle Union Populaire puisse effectivement être cette force-là, je ne sais pas quelle forme ça prendra mais, je pense que c’était la constitution de cette force était en quelque sorte, était ce qu’il fallait après la présidentielle pourquoi ? Parce que le pire pour la gauche aurait été qu’il y ait deux pôles qui se constituent après la présidentielle, qui auraient laminé la gauche. Il y aurait eu le pôle PS/PC/Les Verts, avec Europe Écologie Les Verts, le pôle la FI, la France Insoumise ou l’union populaire, et en réalité ça aurait abouti à potentiellement à la disparition de la gauche du champ politique traditionnel. Et on peut se dire que tout se joue dans les mobilisations sociales etc. Il y a beaucoup de choses qui se jouent dans la mobilisation sociale mais le fait que la gauche disparaisse, et la gauche dans un sens un tant soit peu exigeant du terme, c’est la gauche de rupture, gauche de transformation etc. Le fait que la gauche disparaisse du champ politique n’est jamais une bonne nouvelle.
Alors est-ce que la nouvelle union populaire peut jouer ce rôle ? Jusqu’à un certain point sans doute, et je pense qu’on pourrait avoir des surprises parce que les attaques de la droite et de l’extrême droite vont être tellement, tellement brutales, je pense que l’évolution du champ politique va potentiellement clarifier les positions, y compris voilà. Ce que la FI, l’union populaire, en intégrant même le PS dans l’accord les a divisés, et donc a affaibli en quelque sorte le PS entre les vieux, les éléphants, convertis intégralement aux néo-libéralisme, Hollande, etc. Puis disons les autres qui restent attachés à une forme de social-libéralisme, évidemment ce n’est pas du tout ce qu’il nous faut mais l’important dans cette affaire c’est qui est hégémonique dans cette alliance ?
Et s’il n’y avait pas eu cette alliance on peut imaginer qu’Europe Écologie Les Verts et le PS aillent dans l’orbite du macronisme, ce qui n’aurait pas nécessairement été une bonne nouvelle. Donc à voir la Nouvelle Union Populaire, je ne suis pas pour enterrer la chose immédiatement, c’est vrai que la question pour moi c’est peut-être aussi et surtout ce que va devenir l’union populaire, ce qu’était la France Insoumise, l’union populaire. Est-ce que ça va se transformer en une organisation implantée localement, qui se donne une structuration un tant soit peu démocratique, dans laquelle les gens peuvent s’investir et qui peut en quelque sorte durablement construire quelque chose dans les classes populaires notamment ?
Parce que la force sociale qui peut transformer la société, fondamentalement ce sont les plus exploités, les plus opprimés, les classes populaires au sens large, et donc c’est tout l’enjeu des années à venir, c’est la question de la politisation des classes populaires et des opprimés au sens un plus large du terme.
Et est-ce que l’union populaire, pas la nouvelle union populaire mais en tout cas l’union populaire peut être un véhicule pour ça, sur la base de son programme qui est un programme intéressant. Je parle là de l’avenir en commun, même si les 650 propositions de la NUPES sont déjà assez ambitieuses, si on la compare par tout ce qui a pu être fait par la gauche en Europe ces dernières années, ça va beaucoup plus loin que ce qu’ont fait les gauches par exemple espagnoles et portugaises. En Espagne c’est le parti socialiste Podemos qui gouverne, ça va beaucoup moins loin que les 650 propositions qui étaient avancées par la NUPES.
Donc il y a quand même une base de départ qui n’est pas négligeable et qui est liée au fait que la force hégémonique dans cette alliance c’est la France Insoumise, ou l’union populaire, c’est ça qui est quand même radicalement nouveau ! Il y a très peu de situations en Europe au cours des quarante ou cinquante dernières années où la gauche radicale entre guillemets, ou la gauche en tout cas de rupture a été hégémonique par rapport au centre gauche ! Là on est dans ce genre de situation en France, donc il y a un bon coup à jouer en quelque sorte dans les années à venir.

[Louise Bihan]
Merci beaucoup !

[musique]

[Louise Bihan]
Sabotage prend une petite pause pour cet été, une pause nécessaire car on on va avoir du pain sur la planche ! On revient dès septembre pour continuer à suivre l’actualité et l’activité de l’extrême droite française, la décrypter grâce aux faits, pour mieux la combattre.
Ce podcast a été produit par La Clameur Podcast Social Club, avec, à l’écriture, Louise Bihan, à la réalisation, Sarah Baqué, à la coordination éditoriale Pauline Moszkowski-Ouargli, à la production Prisca Rakatomonga, au montage et au mixage, Jordan Beraba. Marie-Lou HV en a assuré l’habillage musical.
Pour ne rien rater du prochain épisode, abonnez-vous à ce flux sur votre plate-forme d’écoutes préférée ! Et suivez-nous sur nos réseaux sociaux. On vous souhaite un très bel été, et on se dit à très vite.