Episode 4– On ne parle pas de l’hôpital psychiatrique
Avertissements
- Description du fonctionnement d’un hôpital psychiatrique par une patiente
- Mention de mort (non descriptif)
- Mention de traitements violents (non descriptif)
Description de l’épisode
On évite le mot comme pour éviter la chose qu’il désigne : hôpital psychiatrique. Que cherche-t-on à ne pas dire ? A quoi ressemble et à quoi sert un internement ?
Avec Lola mais aussi le journaliste Albert Londres, ou le psychiatre François Tosquelles, Claire Selma revient sur les origines modernes de l’hôpital psychiatrique et s’interroge sur les fonctions et contradictions de l’hôpital psychiatrique.
Ressources et références
• Aboujaoude, Elias, et Charles Baddoura. « The Battle of Aleppo: A Medieval Asylum Survives the Cluster Bombs ». Psychiatric News, vol. 54, no 9, mai 2019, p. appi.pn.2019.4b16, https://doi.org/10.1176/appi.pn.2019.4b16.
• Basaglia, Franco, et Louis Bonalumi. L’institution en négation: rapport sur l’hôpital psychiatrique de Gorizia. Éd. du Seuil, 1982.
• Bosch, Jérôme. La nef des fous, 1500.
• Depardon, Raymond. 12 jours. Claudine Nougaret, 2017.
• Foucault, Michel. Histoire de la folie à l’âge classique. Gallimard, 2007.
• Goffman, Erving, et Robert Castel. Asiles: études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus. Les Ed. de Minuit, 2013.
• Martin, Nicolas. La Méthode scientifique, Supergravité, une théorie qui pèse lourd
Mardi 10 septembre 2019, Radio France, 2019.
• Londres, Albert. Chez les fous: récit. le Serpent à plumes éd, 1997.
• Lubie, Lou. Goupil ou face. Deuxième édition, Vraoum !, 2019.
• (Haydee) Noire et bipolaire, Le marchand de soin, post instagram accédé le 13 septembre 2022 https://www.instagram.com/p/CNmis58Assi/
La musique a été réalisée par Lilith Didier-Charlet à l’exception des morceaux suivants :
- Frankum – Electronic loop
La Clameur Podcast Social Club est un studio de podcast associatif basé à Bordeaux.
Quelques raisons de ne pas disparaître est écrit et monté par Claire Selma. L’habillage sonore est réalisé par Lilith Didier-Charlet. Le générique ainsi que le mixage ont été réalisés par Marie-Lou HV. La production est assurée par Alizée Mandereau.
L’illustration du podcast a été réalisée par Ohmu.
Remerciements à Aziliz Peaudecerf pour son écoute attentive, à Joe pour la transcription, à Anthony Dumas pour la mise en ligne et à Pauline Moszkowski-Ouargli et Lucie Pradeau pour la communication.
Transcription
lecture de Lola – Le repos
On ne parle jamais d’hôpital psychiatrique. Il y a d’abord les périphrases et les mois adoucis en sourdine pour ne pas apeurer le patient catastrophé. On parle alors de repos de pause.
il faudrait envisager un séjour, un cadre différent pourrait aider à briser les cercles vicieux. Ce sont des lieux de repos des cliniques pour personnes fatiguées à bout burn out épuisées. Non on ne finira pas à l’HP on a juste besoin d’un break parce que la vie est devenue trop lourde et nos épaules trop frêles pourtant il y a bien une grille à l’entrée des horaires de visite strictes et les infirmières aux traits flous.
Le joli bois dont la clinique tire son nom est un peu est un bosquet entouré d’un chemin mille fois emprunté par les pieds des patients qui tournent en rond attendant que le temps s’écoule de manière sirupeuse. quand elle arrive manon a honte cette honte est diffuse irrationnelle mais elle sent la brulure dans son ventre elle n’a pas sa place ici et pourtant tout le monde doit se dire ça c’est rassurant d’être la moins folle des fous parce que même ici elle doit être performante et se démarquer. Quand on lui demande de donner tout objet coupant ou dangereux elle a envie de répondre par elle blague montrer qu’elle n’est pas un risque pour elle même. elle voudrait que les infirmières partent de la cent huit en se demandant ce que cette pauvre petite fait ici c’est bien triste.
Elle a l’air d’avoir toute sa tête et est gentille avec ça. mais non elle est traitée comme la sans cesse elle a aussi à une douche sans pommeau pour ne pas se pendre une fenêtre qui ne s’ouvre pas pour ne pas se jeter en bas et des murs aux angles adoucis comme si même un coin pouvait donner des suicidaires
Lola, LE REPOS.
Vous écoutez quelques raisons de ne pas disparaître, un podcast où on parle de dépression et de santé mentale
Aujourd’hui épisode 4 – on ne parle pas de l’hôpital psychiatrique
Introduction
/Marche dans le Vinatier
Voix micro de Claire Selma
/ bruits d’oiseaux et de pas
Ce que vous entendez ce ne sont pas des oiseaux d’un square quelconque. Ces pas, c’est moi qui marche dans l’enceinte de l’hôpital du Vinatier, à Lyon. Un hôpital, qui, comme beaucoup a été créé après la loi de 1838 instaurant un asile par département. Il s’agit d’un quartier plus que d’un hôpital. Il y des petites maisons, où sont logés une partie du personnel soignant et puis des blocs, numérotés. Il y a un parc, des chèvres et au milieu, une chapelle.
/Son de cloches
Je venais ici en visite, pas en patient. J’ai arpenté les allées presque sereinement, c’est un endroit joli et verdoyant. Au moment où j’ai enregistré cela, je n’étais jamais passé par une hospitalisation en psychiatrie. Par la suite, j’ai fréquenté l’hôpital de jour. Une jeune fille me dira alors, en parlant de son internement : là-bas c’était un cauchemar, je ne veux plus jamais y retourner.
Pourtant, il y a des bancs, des oiseaux et même des daims qui arpentent paisiblement le parc. Si cauchemar il y a, on est tenté de penser que cela appartient au passé. Quand, en 1940, dans ces murs, on laissait mourir de faim 2000 personnes. Lorsqu’on utilisait encore massivement les électrochocs et les comas d’insuline.
Sûrement aujourd’hui, tout cela est derrière nous ?
Mais dans ce cas, pourquoi évite-t-on le mot ?
Voix off : Hôpital psychiatrique
et le remplace-t-on par des périphrase
voix off : pause, retraite thérapeuthique, se mettre au vert, disparition, partir en clinique
s’il n’y a pas de problème, pourquoi répondre par un mensonge lorsqu’on nous demande : où étais-tu pendant tout ce temps ?
voix off : un peu de temps off m’a fait du bien
On évite le mot comme pour ne pas regarder la chose qu’il désigne.
Là-bas c’était un cauchemar, elle a dit très distinctement, malgré les cachets qui ralentissent la diction. Ces mots restent accrochés à ma mémoire et se superposent à mes propres expériences et aux témoignages que j’ai pu recueillir.
De quel cauchemar s’agit-il et pourquoi peine-t-on à l’entendre ?
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CONTRÔLE SOCIAL
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Les origines : comment arrive-t-on à l’hôpital ?
419 000 personnes ont été hospitalisées en psychiatrie en 2019
419 000 personnes, c’est presque la population de Toulouse. C’est autant de parcours individuels et prises en charges distinctes. En hôpital de jour, à temps partiel, ou au contraire à temps plein.
L’hôpital c’est un mythe avant d’être un lieu réel. C’est la réalisation d’une menace. Si tu ne marches pas droit, si tu prends trop de place, si tu vas trop mal, tu iras à l’hôpital. C’est un lieu hors du temps, dont l’espace même autour repousse le passant.
J’ai cherché l’origine de l’hôpital psychiatrique. Une des premières traces daterait du VIIIe siècle, en Irak et en Syrie. L’hôpital d’Alep , est réputé comme soignant au XIIIe siècle les maladies mentales à partir de lumière, d’air frais et de musique. Cela donnerait presque envie d’y aller.
Loin de ce passé légèrement idéalisé, en France, l’hôpital psychiatrique est issu de la loi sur les sur l’enfermement des aliénés de 1838. Elle instaure un établissement psychiatrique par département ; et la distinction entre la notion de « placement volontaire » et de « placement d’office ».
Voilà ce qu’écrit, légèrement à charge, le journaliste Albert Londres dans son ouvrage Chez les fous à ce propos
La loi de 38 n’a pas pour base l’idée de soigner et de guérir des hommes atteints d’une maladie mentale, mais la crainte que ces hommes inspirent à la société. C’est une loi de débarras
Il souligne un élément essentiel : une des fonctions de l’hôpital psychiatrique lors de sa fondation est de mettre à distance la folie et donc les fous. Il y a plusieurs raisons à cela.
La première, c’est celle de l’ordre public. Le fou, lorsque ses troubles gênent les citoyens, lorsque son trouble devient public, doit être empêché et donc être mis à l’écart. Michel Foucault, dans Histoire de la folie, relate que, au XIVe et XVe siècle, les fous sont exclus des villes du fait de leurs agissements étranges et mis au ban.
Albert Londres dans ce même ouvrage évoque une seconde raison
Les fous sont livrés à eux-mêmes. On les garde, on ne les soigne pas. Quand ils guérissent, c’est que le hasard les a pris en amitié.
La médecine mentale n’a pas de frontière fixe. On enferme ceux qui gênent leur entourage. Si l’entourage est conciliant, les plus fous demeurent en liberté.
(…)
Une des justifications pour la création des asiles : les folles et les fous subissaient des sévices dans leurs familles. Parfois vivant des enfermements plus violents que dans les futurs asiles. Alors les enfermer ce serait les protéger.
Et le soin ?
Pour Albert Londres, à l’époque, il n’existe pas, en tout cas pas dans les unités fermées.
Les fous sont livrés à eux-mêmes. On les garde, on ne les soigne pas. Quand ils guérissent, c’est que le hasard les a pris en amitié.
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Que soigne-t-on et comment à l’hôpital ?
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Se soustraire du monde
Vous avez entendu Lola en introduction. Après une tentative de changement de médicaments, elle a connu un épisode dépressif violent. Sa psychiatre l’a alors orientée vers une clinique privée.
LOLA
ben donc quand elle propose l’hospitalisation déjà elle dit pas hospitalisation enfin voilà enfin c’est voilà elle elle l’aborde de manière un peu plus douce même si j’ai très bien compris de quoi il s’agissait
mais en fait c’était un peu comme les antidépresseurs c’est un peu le grand méchant loup c’est le truc dont on a hyper peur mais une fois que ça arrive il y a presque un soulagement en fait parce que le pire est arrivé et
moi je me sentais très responsable et encore très coupable vis à vis de mes proches notamment mon copain qui me portait beaucoup. Même si on ne vivait pas ensemble donc j’étais quand même mais je savais que je me reposais beaucoup sur mes amis, sur ma mère, sur mon copain.
donc là l’idée de me soustraire ce qui a souvent été quelque chose que je me disais je voulais juste disparaître pour me soustraire et pas qu’ils aient à me porter en fait parce que je trouvais ça trop dur pour eux
et donc là l’idée que je puisse me soustraire et que d’autres gens s’occupent de moi ça me soulageait beaucoup
même si ça me faisait très peur
Micro
Se soustraire au monde. Il y a une dimension presque poétique. Pendant cette période, j’ai imaginé faire mon sac des centaines de fois. Je planifiais ce que j’allais emporter, et je me voyais quitter comme par magie, des souffrances derrière moi.
Se soustraire au monde. Il y a également une dimension très matérielle dont on parle peu. Lorsque la dépression s’est installée depuis des semaines, des mois. On est de fait soustrait au monde. On est en moins. Et une partie du monde nous a effectivement oublié. Comment leur en vouloir, quand on n’est plus présent aux événements sociaux. Quand on n’est plus valide dans votre vie quotidienne. Il vous faudrait une aide pour les tâches de première nécessité. On voit le poids s’alourdir sur les épaules de nos proches et on se dit. Je suis une chargeuse.
Alors quel autre choix que l’hôpital ? Qui d’autres pour nous soutenir dans ces moments difficiles.
-
La chambre
Alors, Lola répond oui à la proposition de la psychiatre et, en quelques jours, prépare son entrée. C’est une hospitalisation dite consentie.
(pause)
Une fois arrivée, Lola a recréé un petit monde, hors du monde.
Lola 51’
Ma chambre à la clinique j’avais la chance de prendre en chambre seule parce qu’il y a des gens qui partageaient des chambres donc ça c’était quand même un gros privilège d’être seul d’avoir mon espace.
c’était une chambre vraiment une chambre anonyme quoi enfin où le matelas il est un peu plastifié où c’est petit mais avec quand même un petit bureau avec une salle de bain à soie donc ça aussi c’est génial c’est c’est quand même très confortable j’ai installé mes carnets mes livres mon ordinateur je me suis étalé quoi et mais c’était une petite chambre mais ouais enfin moi j’avais surtout besoin d’être seul et d’avoir mon espace et j’ai pas été très sociable même après enfin c’était pas mon
j’ai été très solitaire pendant tout mon séjour et à part quelques rencontres mais mais ça m’allait bien au final j’étais même j’étais contente de manger seule
même si pareil le premier repas ça le premier soir, premier repas de cantine à dix huit heure face à son mur c’est triste quoi enfin c’est enfin j’ai pleuré sur mes raviolis quoi c’était triste.
-
L’ennui
Micro
Au cœur de l’expérience de Lola, il y a l’attente. Les mécaniques sont huilées, une fois la procédure d’entrée terminée, toutes les journées se ressemblent un peu. Les rituels laissent place à l’ennui. Et je me demande : est-ce cela soigne l’attente ? Peut-être peut-on soigner le vide avec plus de vide ?
Lola
Il y a beaucoup de petits événements dans une journée très vide en général. Le premier jour, le matin on passe nous donner les médicaments, c’est le premier contact. Après on passe nous donner le petit déjeuner Ensuite ce qui est un peu bizarre c’est que on a une clef pour fermer notre porte mais on ne peut pas être enfermé à clef car les soignants ont cette carte, donc l’intimité est limitée.
Lola 56’
quand on a rien à faire tout devient une excuse en fait enfin il y avait le moment où tu vas chercher un café ça devient un truc ça devient un événement le moment où tu vas voir le psychiatre donc tu vas y aller attendre prendre un livre pour lire pendant l’attente
les repas qui deviennent aussi on essaie de tirer le repas le plus possible puis les balades dans le jardin
quand on a rien à faire tout devient une excuse en fait enfin il y avait le moment où tu vas chercher un café ça devient un truc ça devient un événement le moment où tu vas voir le psychiatre donc tu vas y aller attendre prendre un livre pour lire pendant l’attente
Micro
Dans un temps distendu et confiné gagne-t -on le goût de vivre ? Dans un cadre dit contenant avec des horaires cadran et une surveillance presque constante, est-ce qu’on trouve la paix ?
Je ne sais pas.
Lola dit que ça lui a fait du bien, au moins sur le moment.
Elle explique aussi que sa sortie a été difficile, qu’elle s’est sentie en rémission pendant tout l’été.
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Les problèmes
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l’argent
C’est à ce moment-là qu’elle a reçu une facture décomptant le temps passé à l’hôpital et lui indiquant le montant à régler.
Lola 67
il me semble parce qu’après enfin j’ai eu des pages des pages d’addition enfin que j’ai j’ai pas lu précisément j’ai rien contesté j’ai pas je me rappelle juste un peu le choc de ah oui en fait
je vais avoir besoin d’aide et toutes mes économies vont y passer et je vais pas pouvoir faire grand chose pendant un moment mais ouais je crois que c’était après à moi aussi qui était couvert donc c’était quand même je pense que c’est quand même bien quoi enfin mais j’ai jamais eu on m’a jamais proposé d’autre option quoi et j’ai pas cherché moi non plus d’autres options.
et donc moi j’ai eu la chance voilà ma mère a pu m’avancer l’argent parce que sur le moment je pouvais pas je pouvais pas tout couvrir parce que j’avais en plus des soucis avec le rectorat des problèmes de salaire et de enfin bref.
mais du coup ma famille a pu m’avancer l’argent et j’ai pu les rembourser après mais c’est vrai que c’est quand même
il m’est resté c’était à peu près je crois mille cinq cents donc c’est c’est cher quoi.
Dans un article intitulé marchand de soin, la bloggueuse Haydee de Noire et Bipolaire s’interroge sur le business des cliniques privées. Après un unique rendez-vous, le psychiatre qu’elle vient de rencontrer lui propose de manière insistante un internement dans la clinique … dont il est propriétaire.
Cette blogueuse décrit également un autre enjeu majeur de l’hôpital : le recours à la contention et à la médicamentation lourde.
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La violence
Dans le Zine Si c’est contraint, c’est pas du soin, des usagers de la psychiatrie présentent les éléments de violence et de coercition qui subsistent en psychiatrie : des formes manifestes de coercition comme l’enfermement aux formes plus complexes de « fabrique du consentement ». Ces usagers et militants s’interrogent : comment se soigner dans un cadre si inégalitaire ?
Ces questions ont déjà été soulevées par le penseur Catalan François Tosquelles, qui s’est attelé à soigner, non pas les malades, mais l’hôpital.
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soigner l’hôpital
Micro
Tosquelles est un psychiatre et militant anti-fasciste. Après la guerre, il s’installera à Saint-Alban et fondera un asile. Son objectif : soigner l’hôpital autant que les malades. C’est là qu’il déploiera ses concepts : l’accueil inconditionnel, la psychothérapie institutionnelle et l’autogestion.
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Accueillir
La première idée de Tosquelles c’est celle de l’accueil, de l’hospitalité, et finalement, de l’asile dans le sens propre du terme. Être accueilli quelque part. Pour cela il faut être accueilli chez quelqu’un qui habite les lieux.
Lors de mon séjour à l’hôpital de jour, l’infirmière m’a présenté les différentes pièces, y compris la salle de travail des soignantes. Pendant quelques minutes, j’ai eu l’impression d’être plus une collègue qu’un nouveau patient
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La psychothérapie institutionnelle
Lors de son installation à Saint-Alban, propose une activité de groupe : malades et soignants prennent des masses et font tomber les murs de l’hôpital. Je crois qu’il n’y a pas de meilleure représentation du concept de psychothérapie institutionnelle. On soigne les patients et les médecins, les malades et les docteurs, les fous et les aliénés. On modifie l’institution conjointement.
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Autogestion et révolution permanente
Enfin, pour sortir de la dynamique de domination, Tosquelles propose le concept de communauté thérapeuthique, proche du concept d’autogestion. On fait des choses ensemble, on produit quelque chose ensemble comme le journal, mais aussi on ère ensemble.
Le psychiatre italien Franco Basaglia développe lui aussi cette notion de communauté
/Lilith lit Franco BASAGLIA L’institution en négation p.124
Derrière les murs de l’asile d’aliéné (…) l’homme, quel que soit son état mental, s’objectivise peu à peu en s’identifiant aux lois de l’internement.
Dans la situation communautaire, le médecin quotidiennement contrôlé et contesté par un patient que l’on ne peut ni éloigner ni ignorer n’a pas la possibilité (…) d’ignorer les interrogations que la maladie lui pose.
Pour cela, à Saint-Alban, Tosquelles parle de révolution permanente : il faut en permanence réinventer ces institutions. Sinon, les rôles s’installent. Dans l’installation, l’autorité revient.
Quand un directeur se prend pour un directeur, alors nous sommes en danger.
Dans un atelier à l’hôpital, nous sommes invités à parler librement de la notion du rétablissement des médicaments. La parole n’est pourtant pas libre, malgré les efforts des deux infirmières qui animent ces séances. J’imagine ce que Tosquelles aurait dit de cette scène : les infirmières sont trop confortables, le contenu est trop maîtrisé. Il faudrait qu’elle parle une autre langue, pour que nous puissions commencer à travailler.
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Faire siennes les contrainte
Je pense que ces initiatives sont toujours présentes à l’hôpital, mais légèrement, comme une mélodie oubliée.
Alors, je me demande si, aujourd’hui, l’hôpital ne soigne pas malgré. Malgré les dysfonctionnements, malgré le manque de moyens, malgré les mauvais traitements qui peuvent survenir. Grâce à des bonnes volonté, à l’écoute. Grâce à des balades régulières, à des rencontres.
Tosquelles écrit : la fabrique de l’institution se fait avec des riens.
Je crois qu’il y a une clef de compréhension pour ma part de ce qui a fonctionné à l’hôpital. Faire soi des riens. Des petites choses, des récits. D’autres appelleront ça des miettes, ces temps d’attente et ces discussions devant les portes automatiques. Je pense qu’au contraire, ce sont grâce à la réappropriation de ces riens qu’on peut commencer à se réinventer.
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Conclusion
[en fond bruit d’un café qui bout et – la méthode scientifique de Nicolas Martin]
Micro
Trois fois par semaine, deux fois par jour, j’ai marché pendant 45 minutes jusqu’à l’hôpital de jour. Toujours le même trajet. Toujours le même podcast dans les oreilles. Durant cette période si particulière, je me souviens de cela. Marcher. Je ne dévie que légèrement du trajet. Je marchais avec la détermination de celui qui sait qu’il est légèrement en retard et qui espère arriver à l’heure.
Tous les jours, j’entendais parler d’espaces, d’insectes ou d’aurores boréales. Ce n’était pas une évasion, c’était un ancrage dans le réel. Alors que rien ne semblait fonctionner, quelque chose fonctionnait. C’était mon petit détournement de cette période à l’hôpital : en apparence, il y avait les psychiatres, les infirmières et les groupes thérapeutiques. Mais au fond de moi, un monde se rouvrait, composé de bribes d’information sur le télescope Hubble ou les équations de Nash. Un clic qui aurait pu, en lui-même , constituer une raison de ne pas disparaître.
J’ai demandé à Lola si elle avait une raison en particulier qu’elle aimerait décrire. Elle ne m’a pas parlé de
l’hôpital, de musicothérapie ou des origamis. Elle m’a juste dit : oh j’en ai eu plein, des raisons de ne pas disparaître, mais une a particulièrement comptée.
Lola – une raison
J’ai une amie surtout qui a londres donc qui est loin qui pouvait pas être là pour moi et qui m’a proposé quand ça commençait à aller vraiment mal elle m’a dit ben elle m’a elle me l’a présenté en me disant oui j’ai j’ai écouté j’ai lu un article oui il parlait de l’importance de la gratitude et que ça faisait du bien est ce que ça te dirait que tous les jours enfin moi j’ai envie de commencer à incarner et tous les jours j’écris three good things donc trois bonnes choses qui me sont arrivées et comment ça m’a fait me sentir. et si tu veux on se les envoie et et tous les jours pendant toute ma dépression on a fait et donc tous les jours elle m’a envoyé les siennes et tous les jours je l’ai envoyé les miennes et parfois les miennes c’était j’ai nettoyé mes toilettes je suis fière de moi parce que j’ai fait quelque chose où je suis sortie. je suis fière parce que ça m’a fait du bien parce que je prends soin de moi
et je trouvais que c’était une en fait ça me touchait énormément cette manière d’être là pour moi qu’elle avait de qu’elle l’a présenté en plus de manière très simple sans me dire regarde je vais t’aider elle m’a dit juste viens on fait ça et et quel elle elle me m’envoie les siennes tous les jours en fait il y avait des petites belles choses que ce soit une tasse de café ou que ce soit et dans toutes les journées et souvent c’était plus facile même dans les mauvaises journées de trouver ces petites choses et donc il y a toujours eu en fait des bonnes choses même si c’était par exemple ça pouvait être le fait de faire ça en fait.écrire ces trois bonnes choses c’était une des trois bonnes choses parce que je savais que j’avais une amie qui m’aimait assez pour prendre le temps tous les jours de faire ça avec moi quoi.