Episode 5 – Repousser la nuit

Avertissements

– Description d’idéations suicidaire
– Mentions de planifications de suicide
– Mention de deuil par suicide d’une personne proche

Description

Comment prévenir le suicide ? Comment repousser cette intrusion de la mort dans la vie ? Cet épisode propose de décrire le continuum du suicide, sans banalisation ni dramatisation, et ainsi, de fissurer la chape de silence qui enferme les personnes ayant des idées suicidaires, ainsi que leurs proches.

Ressources et références

– Arvind, Banavaram Anniappan, et al. « Prevalence and Socioeconomic Impact of Depressive Disorders in India: Multisite Population-Based Cross-Sectional Study ». BMJ Open, vol. 9, no 6, 2019, p. e027250, https://doi.org/10.1136/bmjopen-2018-027250.
– Carrère, Monique. Recueil numérique – Tome 3 sur la thématique du Suicide » de l’Observatoire national du suicide,. Mission Recherche (MiRe), Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Ministère des Solidarités et de la Santé, 2020.
– Christian, Cornelius, et al. « Income Shocks and Suicides: Causal Evidence From Indonesia ». The Review of Economics and Statistics, vol. 101, no 5, décembre 2019, p. 905‑20, https://doi.org/10.1162/rest_a_00777.
– Daldry, Stephen. The Hours.
– Durkheim, Émile, et Serge Paugam. Le suicide: étude de sociologie. PUF, 2013
– Gladwell, Hattie. « Netflix Cut the ‘13 Reasons Why’ Suicide Scene — Because It ‘Inspired’ People Like Me ». Healthline, https://www.healthline.com/health/mental-health/13-reasons-cut-scene#1. Consulté le 8 novembre 2022.
– Spandler, Helen, et al., éditeurs. Madness, Distress and the Politics of Disablement. Policy Press, 2015.
– Trier, Joachim. Oslo, 31 août. 2011.
– Veale, Jaimie F., et al. « Mental Health Disparities Among Canadian Transgender Youth ». Journal of Adolescent Health, vol. 60, no 1, 2017, p. 44‑49, https://doi.org/10.1016/j.jadohealth.2016.09.014.

La musique a été réalisée par Lilith Didier-Charlet à l’exception des morceaux suivants :
– Frankum – Electronic loop
– Frankum – Wrapped in dreams
– Frankum – Extract of aurora
– Snow – Florian Reichelt
– City – Garuda1982
– Soft & furious – You’re magic

La Clameur Podcast Social Club est un studio de podcast associatif basé à Bordeaux. Quelques raisons de ne pas disparaître est écrit et monté par Claire Selma. L’habillage sonore est réalisé par Lilith Didier-Charlet. Le générique ainsi que le mixage ont été réalisés par Marie-Lou HV. La production est assurée par Alizée Mandereau.

L’illustration du podcast a été réalisée par Ohmu.

Remerciements à Aziliz Peaudecerf pour son écoute attentive, à Elvire Au Rouge pour la transcription, à Anthony Dumas pour la mise en ligne et à Pauline Moszkowski-Ouargli et Lucie Pradeau pour la communication.

Transcription

Repousser la  nuit

 

Introduction

 

[Ligne musicale très simple]

[Bruit de pas dans la neige]

 

Il a neigé cette nuit, il n’avait pas neigé à Lyon depuis longtemps. L’air est froid et humide. Je suis sorti.e et j’ai marché en direction du parc, à quelques minutes de chez moi. De toutes les fois où je suis venu ici, je n’ai jamais fait attention au bâtiment attenant, juste de l’autre côté du cimetière : le funérarium. Je me suis approché.e et je l’ai reconnu. 

 

Je suis venu.e, dans ce bâtiment, pour la première fois il y a plus de dix ans. Je n’habitais pas à Lyon à l’époque. J’étais venu.e spécialement, avec ma mère, pour l’enterrement d’un ami, décédé par suicide. Je n’étais jamais revenu depuis, alors que cet endroit est tout proche de chez moi. Dans mon esprit c’était un lieu sans localisation. Sans temporalité. 

 

Pourtant je me souviens de plein d’autres choses de ce jour-là. C’était en juin, quelques semaines avant mon bac. Il faisait beau.  J’ai beaucoup pleuré, ma mère aussi. Je me souviens aussi que, à part quelques morceaux de musique,  la cérémonie s’est déroulée dans le plus complet des silences.

 

[Bruit blanc]

 

Aucun discours, aucune parole. C’était une de ses dernières volontés et elle a été respectée.

 

Moi, j’ai eu l’impression qu’on se taisait une seconde fois.

D’abord dans la vie, maintenant dans la mort.

Et que le tabou du suicide se refermait sur nous tous.

 

[Fin du bruit blanc]

 

J’ai voulu interroger cette intrusion de la mort dans la vie. La décortiquer, la rompre en petits bouts pour, peut-être, commencer à comprendre. Et ainsi, fissurer un peu cette chape de silence.

 

[Musique]

 

[Triggers warning non mentionnés à l’oral]

 

Dans cet épisode, il n’y aura pas de description précises de mutilations ou de tentatives de suicide. Cette iconographie morbide choque, saisit, mais elle ne laisse pas place aux histoires, complexes.  Il y aura cependant des mentions d’idéations suicidaires et de planification de suicides. 

 

Vous écoutez  “Quelques raisons de ne pas disparaître”,  un podcast qui parle de dépression et de santé mentale.

 

Aujourd’hui,  épisode 5 –  Repousser la nuit

 

Parfois, je lutte pour ne pas me laisser embarquer dans une nostalgie du futur. Vous savez ces … “et si ?” , “Et si, alors… “, “Et si quelqu’un avait…. alors, la vie.”.  Je tente de repousser ces spirales inutiles. C’est un exercice difficile. 

D’ailleurs, là, au café, à côté de moi, un groupe de personne parle du décès d’une jeune fille, morte par suicide. 

 

[Voix fond d’un groupe]

 

“Mais imagine elle se loupe avec le fusil..”

 

Elles cherchent des raisons, des explications. Il y a quelque chose d’irritant dans cette démarche d’enquêtrices. J’ai envie de me lever et de leur parler de la dangerosité des « et si ? ». J’ai envie de leur parler du mathématicien Henri Poincaré qui a posé les bases de la théorie du chaos et leur dire que certains systèmes, même lorsque l’on connaît leur situation initiale quasiment parfaitement, sont imprédictibles, car une toute petite variation peut entraîner des résultats impossibles à calculer. J’ai envie de leur dire : on ne sait pas ce qu’il se serait passé car le système est trop complexe, les gens sont trop complexes. 

Leurs commentaires morbides et détaillés me heurtent. Ces images chocs ne laissent jamais place aux histoires nuancées et aux parcours complexes des personnes qui prennent ces décisions. 

Evidemment, je n’ai rien dit de tout ça. J’ai laissé deux euros vingt sur la table et je suis allé à mon interview.

 

[Bruit de pas]

 

J’ai interrogé le Dr Edouard Leaune, enseignant chercheur et psychiatre au sein du centre de prévention du suicide de Lyon. On a commencé par une question en apparence simple : est-ce que tous les suicides sont causés par la dépression ? 

 

[DR EDOUARD LEAUNE]

“ On dit aujourd’hui qu’à peu près quatre vingt dix à quatre vingt quinze pourcent des personnes qui sont décédées par suicide souffraient d’une pathologie mentale qui avaient pu être décelée (ou pas), qui avaient pu être traitée (ou pas) et que dans soixante dix pourcent, des cas cette maladie était la dépression.

 

On sait qu’en moyenne cinq à dix voire quinze pourcent des personnes atteintes de troubles mentaux sont à risque de décéder par suicide. On est plutôt sur la fourchette haute de cette approximation là en ce qui concerne la dépression.” 

 

Ce que rappelle le Dr Edouard Leaune, c’est une donnée fondamentale : la dépression peut être une maladie mortelle, surtout lorsque les souffrances ne sont pas dites et prises en charge. En revanche, tous les suicides ne sont pas causés par la dépression, certains sont causés par d’autres troubles. Certains sont politiques. Par exemple : lorsque les activistes irlandais des années 80 décèdent des suites d’une grève de la faim, leur suicide est politique.

D’une manière générale, j’ai l’impression que l’on pense savoir de quoi on parle quand on évoque le suicide, alors que personne ne le définit jamais. J’ai demandé à Edouard Leaune de nous décrire ce qu’il y a derrière ce mot : suicide

 

[EDOUARD LEAUNE]

 

“On confond le fait d’avoir des idées suicidaires, le fait d’avoir fait une tentative de suicide et le fait d’être décédé par suicide. Ce sont des choses différentes, même si bien sûr pour un individu, ça peut être des passages successifs dans son histoire et c’est ça qui est important de comprendre ce continuum.

Je ne vais peut être pas rentrer dans des détails médicaux complexes mais c’est pas un continuum parfait parce qu’on sait que certaines personnes vont décéder par suicide sans avoir jamais fait de tentatives de suicide auparavant. Et inversement, d’autres personnes vont faire des tentatives de suicide et on sait que c’est le facteur de risque principal de décès par suicide. On a des personnes qui vont ce qu’on appelle réitérer un passage à l’acte dans les jours les semaines ou les mois qui suivent parce que l’état de crise demeure, parce que les facteurs de risque sont présents, parce que les facteurs de stress qui ont amené à cette crise suicidaire sont toujours présents et n’ont pas pu trouver de résolution. 

 

On a cette notion d’évolution de la crise suicidaire. On parle d’une évolution progressive qui peut se faire sur une durée moyenne de six à huit semaines avec une apparition progressive d’idées suicidaires qui vont être plutôt passive initialement . C’est à dire finalement pas l’idée de se dire “je vais passer à l’acte” mais de commencer à penser à ce sentiment d’être un fardeau pour autrui : “ils seront mieux sans moi”, “c’est trop difficile”,  “je ne vais pas pouvoir continuer” …  

 

Ces pensées au début vont être peut être présentes une fois par jour, une fois tous les deux jours, tous  les deux ou trois jours. Puis, soit les choses vont s’améliorer, soit au contraire, la crise va perdurer et là les idées vont devenir de plus en plus fréquentes , de plus en plus intenses et vont prendre une forme plus active. C’est -à -dire que je vais commencer à ne plus trouver de solution face à ma souffrance et je vais commencer à envisager le sujet vraiment comme une solution.

Puis progressivement, comme LA solution, puisque les autres solutions ne me paraissent plus possibles, ou je les ai essayées et elles n’ont pas fonctionné. A un moment donné, il va pouvoir se cristalliser un scénario, un plan suicidaire sur “Comment faire, quand le faire ?” et les gens peuvent passer plusieurs jours, plusieurs semaines à réfléchir au moyen qu’elles vont utiliser, au moment où elles vont le faire pour respecter les dates anniversaires des uns et des autres, pour être le moins impactant sur l’entourage ou des choses comme cela. 

Certains vont passer à l’acte. Certains ne décèderont pas, heureusement et  malheureusement d’autres vont décéder. 

 

L’enjeu pour nous, c’est toujours de savoir où on en est dans cette évolution de la crise, dans ce continuum de conduite suicidaire, pour savoir quelle est notre marge d’intervention, notre marge de manoeuvre pour pouvoir intervenir avec cette idée vraiment centrale (et c’est un point important sur lequel on insiste) que les personnes qui sont décédées par suicide ou qui passent à l’acte ne veulent pas forcément mourir, elles veulent arrêter de souffrir. C’est un point central. Il y a vraiment ce sentiment de fardeau très important, ce sentiment d’une souffrance que l’on arrive à dépasser. Et donc on veut arrêter de souffrir. On ne voit plus les solutions car justement, c’est là où la dépression va jouer son rôle, elle nous empêche de voir des solutions possibles. Elle va nous empêcher d’envisager de manière optimiste le fait que certaines solutions peuvent fonctionner, ou même si elles n’ont pas fonctionné une fois que ça peut valoir le coup de les retenter. C’est là où ce pessimisme, cette vision très sombre de l’avenir va entraîner ce sentiment de prise au piège et qu’il n’y a pas d’autres solutions que le passage à l’acte. “. 

 

En moyenne, 9000 personnes meurent par suicide par an. Trois par jour. Parmi elles, 72 % sont des hommes. 

 

[EDOUARD LEAUNE]

 

“Le premier point  c’est que déjà,  il existe ce qu’on appelle les inégalités sociales de santé qui sont présentes pour l’ensemble des conditions médicales, des pathologies qu’on connait. Le suicide n’échappe pas à la règle et ça a pour le coup c’est quelque chose par exemple que Durkheim avait déjà, en partie, mis en avant :  le rôle des facteurs sociaux dans le suicide. Aujourd’hui, on sait qu’appartenir à une catégorie socioprofessionnelle plus défavorisée est un facteur de risque plus important de conduite suicidaire et notamment de décès par suicide.

On a fait notamment une étude sur la région Auvergne Rhône Alpes :  on a montré que les personnes les plus défavorisées avaient un risque à peu près deux fois supérieur aux personnes les plus favorisées de décéder par suicide.

En fonction du genre aussi , il y a des différences importantes dans les conduites sucidaires avec davantage de tentatives de suicide chez les femmes et davantage de décès par suicide chez les hommes. Cela repose aussi sur des facteurs socioculturels, notamment sur les moyens utilisés pour le passage à l’acte avec des moyens entre guillemets plus létaux utilisés par les hommes mais aussi sur la capacité à demander de l’aide. On est dans des sociétés où on n’apprend pas beaucoup aux hommes à demander de l’aide et notamment quand on parle de dépression.  Lorsque des hommes auront des symptômes dépressifs, ils auront moins cette tendance ou cette capacité à aller demander de l’aide. Ils vont rester seuls et donc laisser les choses aller de mal en pis et ne pas forcément aller chercher des solutions qui seraient ouvertes vers l’extérieur.”

 

Dans son ouvrage sur le suicide, Emile Durkheim présente pour la première fois le suicide comme un fait social, pas seulement comme une tragédie. Il est donc possible de s’intéresser au risque de suicide par catégorie de population. Au-delà des hommes ou des personnes précaires, les  personnes trans sont également une des catégories sociales les plus à risque. Dans une étude canadienne de 2015, sur une cohorte de 923 personnes trans de moins de 25 ans, un tiers a déjà fait une tentative de suicide. 65 % ont sérieusement considéré le suicide durant la dernière année, contre 12 % pour la population cisgenre de même âge. 

 

Il n’y a pas une conclusion unique à tirer de ces différentes situations. Ce sont autant d’histoires personnelles et complexes, que l’on ne peut réduire à une image, une donnée figée. 

Cependant, sur ces bases, des politiques de préventions peuvent être mises en place. Ainsi, l’effet d’une hausse du revenu sur les taux de suicide a été prouvé par plusieurs études économiques, notamment en Inde. De même pour l’accès à des dispositifs de transition remboursés pour les personnes trans. 

Aujourd’hui, un des axes développés en France est celui autour de la parole. Ouvrir le dialogue sur les conduites suicidaires. Comme l’a dit Edouard Leaune : si une grande majorité des personnes mortes par suicides sont des hommes, c’est sans doute car on élève les garçons puis les hommes dans le silence sur leur état psychique.

 

[LUKZ]

 

“Je pense que c’est un… En fait, moi c’est un des moments clés de ma dépression. C’est le moment où j’ai des idées suicidaires ça va être … C’est tellement l’enfer ma vie et je vois tellement aucun échappatoire que je vais voir seulement cette échappatoire. Il y a une variété d’idées suicidaires et une variété de précisions…

Je compterai presque en nombre d’heures que tu y penses par jour. C’était au début des idées suicidaires si tu penses une ou deux fois par jour. T’es vers la fin des idées suicidaires si c’est la seule chose dont tu penses de toute la journée quasiment. C’est :  “je pense au suicide et je pense à ça”.

C’est important et j’ai vraiment envie d’en parler parce qu’il y a une vraie mauvaise compréhension de ce que sont les idées suicidaires. Je pense et je sais que quand j’y pense qu’une seule fois par jour, c’est que je suis assez loin du suicide en vrai. Les gens vont peut être se dire d’appeler le 15 en disant qu’il va se suicider tout de suite et vont sur-réagir et c’est cette suréaction qui fait que je ne vais pas leur en parler. Cela va ajouter aux idées noires dont je ne parle pas aux gens. On comprend pourquoi les idées noires, on n’en parle pas. Il y a un cercle vicieux social, presque. 

Le fait qu’on sur-réagisse aux idées suicidaires fait qu’on en parle pas mais cela fait que quand on en parle, c’est que c’est très grave et qu’il faut sur-réagir.” 

 

[Musique]

 

A un moment avec Lukz, on a coupé le micro. Le silence, ce n’est pas seulement celui qui est imposé par les capacités d’écoute, par la bienséance ou je ne sais quoi. Cela coûte de parler. Ce n’est pas toujours libérateur. Parfois même en parler rend la chose réelle. Ce ne sont jamais des discussions faciles. Ni pour la personne qui parle, ni pour celle qui écoute. 

Dans “Oslo 31 août “, un film de Joachim Trier, le personnage principal, Anders, explique à son ami vouloir mourir. Que si cela arrive, cela aura été son choix. Son ami lui répond vivement : “je ne peux pas te fréquenter si tu me dis que tu vas te suicider. Ne dis pas ça. “ . C’est un réflexe, il l’aime et refuse de le voir partir. Dans ce film, Trier parle de l’impossibilité de parler, d’échanger, sur la souffrance. psychique. Tout le monde parle, mais la souffrance s’échappe au-delà des mots.

 

[LUKZ]

 

“Récemment il y a quelqu’un qui m’a parlé de ses idées suicidaires etdans le cas particulier où j’étais, elle en était au stade de planification de son suicide avec un plan précis une date, un lieu et un moyen. Elle avait pensé aux moyens, elle se l’était procuré et elle avait pensé au lieu. Cette personne, elle était là … Je pense que … Je ne connais pas bien les statistiques mais je pense qu’on est vraiment très très très proche … Evidemment, c’est quasiment la dernière étape avant quoi alors que quand on en est à avoir Du coup là je réagis et  je me sens plus capable de gérer cette personne. Elle vient de me confier quelque chose d’excuse d’extrêmement lourd et je vais en appeler à des professionnels … J’ai discuté avec elle et j’avais l’impression que ça s’était calmé et du coup j’ai pas appelé les urgences ni quoi que ce soit mais j’ai appelé une hotline un peu plus légère.  C’était le trente et un quatorze. Je lui ai demandé des conseils, je lui ai dit : “j’ai cette personne qui m’a dit ça.” Quand vous appelez ce genre de hotline, ils font très attention à penser à vous et à dire “Comment vous vous sentez vous ?”

 

J’ai beau eu déjà avoir des idées suicidaires, j’ai beau savoir que ça arrive, et bien j’allais pas bien à ce moment-là. Évidemment, quand quelqu’un te dit “J’ai des idées suicidaires”, la personne qui reçoit ça, elle  ne va pas bien. Et c’est pour cela aussi qu’on ne dit pas qu’on a des idées suicidaires car on sait que ça impacte l’autre personne et on a pas envie de lui faire mal. Si vous entendez quelqu’un vous dire “J’ai des idées suicidaires”, appelez une hotline pour le suicide, pas forcément pour aider la personne mais pour vous aidez vous.” 

 

[Musique]

 

Et une fois qu’on en a parlé ? Une fois que les mots sont dits, que fait-on ? 

Recevoir une information d’idées ou de plan suicidaire n’est jamais simple. Nous n’avons aucune représentation, aucune habitude, ni de délivrer ou de recevoir cette information. Souvent un premier réflexe se dessine : protéger la personne d’elle-même, sans prendre en compte ce qu’elle souhaite. 

Cette question soulève la très complexe relation entre souffrance, folie, irrationalité et consentement. D’un côté, l’application du label folie sur une souffrance psychique suffit à balayer les droits humains élémentaires, comme ceux d’aller et venir librement et de disposer de son corps.

De l’autre, une personne en crise peut ne plus avoir le discernement de faire des choix, et peut, fondamentalement vouloir se faire du mal. 

 

Lukz m’a raconté ce qu’il aurait aimé que l’on fasse pour lui. 

 

[LUKZ]

 

Moi la première chose que j’ai faite quand la personne m’a dit “J’ai pensé à ça”, je lui ai dit « OK tu m’as dit ça, j’entends. Moi j’ai déjà eu des idées suicidaires, je sais ce que c’est d’en avoir et je sais que c’est sérieux d’en parler. Est ce que tu avais une envie que je réagisse d’une façon ou une autre ? Est ce que tu avais des envies quand tu m’as dit ça?”

C’est la question que j’ai posée. J’ai demandé “S’il te plait qu’elle clarifie moi pourquoi tu m’as dit ça ? Tu m’as dit ça et je sais que c’est important de dire ça. Je sais que ça ne vient pas par hasard. Dis moi comment tu voudrais que je réagisse ? Est ce que tu as envie que je prévienne d’autres gens ?”

 

La personne m’a dit “Je veux que tu préviennes personne.”

J’ai beaucoup hésité.  Je me suis dit « est-ce que je préviens des gens sans son consentement en la trahissant ? Je ne l’ai pas fait. Je n’ai prévenu personne. Par contre, j’ai appelé le trente et un quatorze. J’ai appelé une hotline parce que quand elle me dit “Prévient personne”, c’est “Ne préviens aucun des proches.” car elle a  honte de son état et elle a envie que personne ne soit au courant.

Mais j’ai fait des choses avec le consentement de la personne même si elle a des idées suicidaires. La façon dont je réagis dans ce genre de cas, c’est de la façon dont j’aimerais que l’on réagisse avec moi et je déteste quand les gens font des choses contre mon consentement “pour mon bien” quand je suis déprimé. Je sais que c’est contre-productif mais ça va juste me braquer et c’est pas ce qu’il faut pour moi. Peut-être que pour d’autres gens, c’est bien mais pour moi, ne faites pas des choses sans mon consentement. Du coup, quand quelqu’un fait des choses, je ne fais rien sans son consentement. 

 

Je tiens à préciser que je me suis laissé la possibilité de trahir le consentement. Le soir où la personne m’a parlé, je suis allée la voir. Elle dormait dans le salon. Je suis allé voir car j’avais peur qu’elle se suicide dans la nuit. Des peurs irrationnelles comme ça. Finalement, elle était en train de dormir. Evidemment que j’ai des peurs irrationnelles et je me dis “mais merde qu’est-ce qu’il va se passer ?” et j’envisage tout les scénarios et celui de trahir son consentement mais j’essaye de pas sur-réagir et de pas réagir dans la précipitation. Peut-être que je vais choisir de trahir son consentement, peut-être… mais en tout cas, je sais que j’aurais les raisons pour le faire, que j’y aurai réfléchi et que j’assumerai devant cette personne, y compris dans son état déprimé. “

 

David Webb, dans l’ouvrage collectif “Madness, distress and the politics of disablement”, propose plusieurs points de vérifications, avant d’aller contre le consentement d’une personne. Ayant lui-même survécu plusieurs tentatives de suicide et été interné, il soutient que l’absence totale d’écoute des patients suicidaires peut créer de la récidive, en éloignant davantage les personnes des dispositifs de soins. Pour lui, pour aller contre le consentement d’une personne, le risque de mort doit être imminent. Ce risque doit être assis sur un comportement observable, enfin, il ne doit pas être fait sur un diagnostic médical préexistant. 

 

Mais, à l’aulne de nos discussions sur le silence avec Lukz, je me demande : comment nous apprendre à énoncer ce dont nous avons besoin ? Comment savoir, au moment de la crise, qu’il nous faut appeler un proche et nous éloigner nous-même de toutes choses pouvant nous faire du mal. 

 

On ne le peut sans doute pas. En revanche, il est possible de le faire avant. Un outil a été développé récemment, cet outil s’appelle les directives anticipées en psychiatrie. Au départ, quand on m’en a parlé, j’ai blêmi. Directives anticipées, cela évoquait pour moi la fin de vie, la sédation profonde… 

Et j’ai compris : Les directives anticipées en psychiatrie sont un document, qui recence plusieurs éléments. Tout d’abord ; il vous permet de décrire les signaux d’une crise et donc de mieux les identifier. C’est aussi un document qui pourra être utile en cas de survenue de la crise, pour les proches ou le personnel soignant . Par exemple : les soins qui vous font du bien sont indiqués (être seul, entouré, prendre tel type de médicalement). Il est également possible d’indiquer quelle unité d’hospitalisation ou même praticien vous souhaitez éviter.

Ce document est encore trop peu utilisé et connu. Il n’a, pour le moment, aucune valeur légale. Il est cependant une aide pour soi et ses proches. 

 

CONCLUSION

 

La nuit revient, par vague. Je ne crois pas que l’on s’en débarrasse une bonne fois pour toutes. C’est un long travail, épuisant, encore plus difficile lorsqu’il est réalisé seul.

 

Parfois ce travail passe par s’accepter soi. Soi, avec ce rapport à la nuit que d’autres n’ont peut-être pas. Avec des failles, avec de la folie.  C’est un long apprentissage, de reconnaître qu’on est précieux. De se dire “si je ne manquerai à personne, je me manquerai à moi.”

 

C’est un travail encore plus difficile lorsqu’on a appris le silence. Lorsqu’on est enfermé dans une catégorie qui ne nous convient pas. Lorsqu’on étouffe et qu’on a l’impression de ne pouvoir le dire à personne. 

 

Je crois que ce sera cela ma raison de ne pas disparaître pour aujourd’hui : 

trouver des mots.

C’est un exercice extrêmement difficile d’attraper les mots, de les faire siens, de les utiliser pour faire un lien qui nous attache

 

[En fond] 

 

“J’ai vraiment l’impression qur là, je suis en train de faire tout ce que je dois faire pour me débarrasser de cette douleur …”

 

Dans le fond, vous entendez un extrait du prochain épisode. Ce sont des gens, qui s’entrainent à parler et à écouter. C’est un exercice, un apprentissage. Les féministes, les afro-féministe et notamment Audre Lorde, le savent et l’ont suffisament dit : le silence ne nous protègera pas. 

 

[Générique de fin]

 

CREDITS SONORE

– snow by https://www.instagram.com/florianreichelt/

– city by Garuda1982

– soft & furious –  you’re magic

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Carrère, Monique. Recueil numérique – Tome 3 sur la thématique du Suicide » de l’Observatoire national du suicide,. Mission Recherche (MiRe), Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Ministère des Solidarités et de la Santé, 2020.

Daldry, Stephen. The Hours. 2002.

Gladwell, Hattie. « Netflix Cut the ‘13 Reasons Why’ Suicide Scene — Because It ‘Inspired’ People Like Me ». Healthline, https://www.healthline.com/health/mental-health/13-reasons-cut-scene#1. Consulté le 8 novembre 2022.

The social model of disability and suicide prevention, Helen Spandler interviews David Webb, in  Spandler, Helen, et al., éditeurs. Madness, Distress and the Politics of Disablement. Policy Press, 2015. 

Trier, Joachim. Oslo, 31 août. 2011.

Veale, Jaimie F., et al. « Mental Health Disparities Among Canadian Transgender Youth ». Journal of Adolescent Health, vol. 60, no 1, 2017, p. 44-49, https://doi.org/10.1016/j.jadohealth.2016.09.014.