Episode 6 – Construire des escaliers

Description

Les histoires de dépression ne sont pas linéaires : il y a des moins bien, et puis il y a du mieux. Le vocabulaire pour décrire ces moments est flou, vague, à l’instar du reste des états dépressifs. Il s’agit donc pour chacun·e de déceler les stratégies qui permettent de remonter la pente un peu plus rapidement, facilement. De la thérapie aux groupes d’entraides, cet épisode s’attache à décentrer le soin du soi, à repolitiser le self-care. Essayer d’aller mieux, ensemble.

Ressources et références

Goupil ou Face de Lou Lubie, Vroum! 2019

Nsafou, Laura. « https://mrsroots.fr/2022/01/13/decoloniser-le-self-care/ ». Mrs Roots, https://mrsroots.fr/2022/01/13/decoloniser-le-self-care/.

« Psy psy ». Faux-la-Montagne, juillet 2019. Entretien avec Lucie Rivers-Moore du groupe Psy psy, 2021, https://syndicat-montagne.org/wp-content/uploads/2021/08/2021-brochure_-psy_psy.pdf.

Radio Zinzine – Psypsy tagada soin soin. 14 novembre 2022, https://leprintempsducare.org/radio-zinzine-psypsy-tagada-soin-soin/.

Sturdivant, Susan. Therapy with women: a feminist philosophy of treatment. Springer Pub. Co, 1980.

Wittig, Monique, et al. La pensée straight. Nouvelle éd., Éd. Amsterdam, 2013.

Les Guérillères. Beacon Press, 1985.

 

La musique a été réalisée par Lilith Didier-Charlet à l’exception des morceaux suivants : 

  • Davejf – melody-loop-98-bpm
  • Davejf – mystique
  • Drfx – music-box-melod
  • Jovica – pad-006-whispering-ear
  • xcreenplay__forgotten-childhood-memories
  • Frankum – Wrapped in dreams
  • Frankum – intro-electronic-loop

Crédits

La Clameur Podcast Social Club est un studio de podcast associatif basé à Bordeaux. 

Quelques raisons de ne pas disparaître est écrit et monté par Claire Selma @selmakovich. L’habillage sonore est réalisé par Lilith Didier-Charlet. Le générique ainsi que le mixage ont été réalisés par Marie-Lou HV. La production est assurée par Alizée Mandereau.

L’illustration du podcast a été réalisée par Ohmu.Remerciements à Aziliz Peaudecerf pour son écoute attentive, à Coralie de Souza Vernay pour la transcription, à Anthony Dumas pour la mise en ligne et à Pauline Moszkowski-Ouargli et Lucie Pradeau pour la communication.

Transcription
Episode 6- Construire des escaliers.

Maintenant, je crois que je peux vous le dire.

Je vous ai menti au moins par omission. Les précédents épisodes, laissent penser que la dépression et moi, c’est terminé. Ce podcast serait mon slow d’adieu à la fin de la colonie de vacances. On s’est échangé nos adresses dans un petit carnet, mais en fin de compte, on ne va jamais s’écrire.

[Musique simple]

Malheureusement, mon histoire avec les troubles de l’humeur n’a pas la saveur de ses histoires qui ne se vivent qu’une seule fois. Elle représente plutôt un cycle, une succession de cols de montagnes, ou à chaque fois que j’ai l’impression d’arriver sur un plateau, il y a une autre montagne, à chaque fois différente. La dépression est déjà revenue plusieurs fois, notamment entre ces deux épisodes. J’ai vu certains des signes, la fatigue, la colère, la perte de confiance en soi et les terreurs nocturnes. Alors j’ai fait ce que je n’avais jamais fait précédemment.
[En fond, sonnerie d’appel numérique puis discussion entre Claire-Selma et Alizée]
J’ai appelé Alizée celle dont vous n’entendez pas la voix dans ce podcast, mais qui relit, donne son avis et m’aide à avancer.

À ma remarque, « je suis fatigué.e », elle m’a simplement dit : «  d’accord. Prends le temps qu’il te faut. »

[Conversation dans le fond entre deux voix]

Je trouve le terme rechute, assez éloquent. Je me vois me prendre les pieds dans le tapis et dégringoler les escaliers plus ou moins bas.

[ En fond “Bonjour ! J’ai un livre à rendre mais il est en retard. Je sais pas de combien”]

Là, dans le fond, vous m’entendez rendre des livres à la bibliothèque et marcher dans mon quartier. C’est ma manière très personnelle de remettre les choses en place et de remonter les marches de l’escalier. C’est un immense chemin parcouru et pourtant, je sais, je suis sûr.e que cela ne suffit pas. Alors je me suis demandé.e comment aller mieux.

[Musique du générique]

Vous écoutez quelques raisons de ne pas disparaître. Un podcast, où on parle de dépression et de santé mentale. Aujourd’hui, épisode 6. Construire des escaliers.

[Musique]

Aujourd’hui, je crois que je ne cherche plus à être entièrement guéri.e, à être valide. Mon objectif n’est plus de me débarrasser une bonne fois pour toute de la dépression ou de la folie. C’est de mieux l‘appréhender, de mieux la connaître. Dans la bande dessinée Goupil ou face, Lou Lubie représente son trouble de l’humeur sous les traits d’un renard qui la suit partout. Tantôt menaçant, tantôt attachant, elle apprend à reconnaître ses signes de fatigue ou de surexcitation afin de mettre en place des aménagements. Pour moi, un de ces aménagements a été l’écriture. Je n’ai jamais écrit quand j’allais vraiment mal. En revanche, reprendre l’écriture au moment où je sortais de période de chaos émotionnel était un petit rituel.

J’en ai parlé avec Pauline Harmange, autrice d’essai et de fiction. Je suis allé.e la rejoindre dans son petit appartement à Lille. Il y avait son chat, du café, et je lui ai demandé ce qu’avait représenté pour elle l’écriture dans son parcours pour aller mieux.

[Pauline Harmange]
« Il y a une espèce de vision un peu romantique de l’écriture comme quoi, c’est thérapeutique. Et que poser des mots ça soigne, ça commence déjà à soigner, et je trouve que c’est plus compliqué que ça. En tout cas, pour moi, il y a des moments où écrire juste de manière un peu brutale, pas du tout pour être lue. Quand je vais mal, ça me déleste dans… en fait ça fait un tout petit peu de place dans ma tête pour pouvoir faire d’autres choses, fonctionner autrement. Parfois, ça me fait au contraire plus de mal parce que, du coup, écrire sur la dépression ou sur des choses douloureuses, ça vient remuer et faire mal. Pendant des années, j’ai fait que remplir des journaux intimes et pas aller voir de psy, et ça ne m’a pas du tout aidée. Je suis vraiment restée avec ma merde comme ça toute seule. Et ensuite, être entendue, être comprise par l’écriture, c’est plus là que ça va venir faire du bien que dans l’acte d’écriture. 

[Claire-Selma]

Il y a deux choses qui me touchent dans ce que dit Pauline. D’abord, le fait qu’on ne parle pas pour parler. Ce qui importe, c’est d’être entendu.e. Toutes les injonctions à la parole ne feront rien, tant qu’il n’y aura pas en face des gens pour écouter. Ensuite, il y a cette idée de transformation. Par la parole, il est possible de transformer quelque chose à l’intérieur de soi, assez profondément. Cette parole transformatrice, m’a conduit à interroger un autre endroit. On peut apprendre à parler pour aller mieux, la thérapie. J’ai demandé à Pauline comment elle avait fait ce choix d’aller voir un ou une psy. Elle m’a expliqué qu’il n’y avait pas eu une fois, mais plein de fois. Pour des problèmes précis d’abord, pour la dépression ensuite. Mais que c’est seulement une fois qu’elle allait mieux, qu’elle avait commencé un traitement et qu’elle se sentait suffisamment stabilisée.

[Pauline Harmange]
« Je me souviens que je me suis dit, il faut que j’arrête de me chercher des excuses et que je teste. Et si ça doit prendre 5 fois, ça prendra 5 fois mais je teste différentes personnes. Mais j’avais quand même des critères. Je voulais que ce soit une personne plutôt LGBT-friendly parce que je me sentais enfin prête de parler de ça. De préférence une femme parce que je me sens plus à l’aise à consulter une thérapeute femme. Et en fait, la première fois que je suis allé au CMP, c’est parce que je venais juste à… je venais… J’avais avorté il y a quelques mois et ça ne se passait pas bien pour…alors que je pensais que ça allait bien se passer et en fait c’est venu beaucoup me travailler et comme j’avais pas les moyens, je me suis dit je vais aller au CMP. Le CMP, c’est un centre [hésitante] médico-psychologique. Cette première fois-là, ça n’a pas du tout marché pour moi, je ne me suis pas du tout senti écoutée dans ce que j’avais besoin de venir déposer. Et j’y suis retournée un moment plus tard, en ayant pas énormément d’attentes en fait. Enfin vraiment avec ces structures-là, moi j’ai toujours l’impression de prendre la place de quelqu’un d’autre qui en a plus besoin, qui a moins de ressources, qui va plus mal. Et donc en fait je pense que ça a participé au fait que je me suis pas sentie à l’aise dans ce suivi-là. Et la deuxième fois du coup, j’y suis retournée, on m’a conseillé un thérapeute avec qui du coup je pensais que.. Fin, vraiment le premier rendez-vous, j’étais trop contente. Et en fait on… Ouais, on n’arrivait pas, on n’arrivait pas à se comprendre quoi. Et ça demande tellement d’énergie, tellement de ressources de dire « je vais tenter encore une fois, et peut-être que ça va encore pas marcher ». Quand on n’a pas… enfin moi, je vis dans une grande ville et j’ai accès à beaucoup de choix, et maintenant que j’ai les moyens, je peux aussi aller voir des thérapeutes pas remboursés etc. Mais enfin, les premières fois j’étais cantonnée à ce qu’on me proposait au CMP. Si ça marche pas, ça marche pas et après démerde-toi quoi ! Et du coup, ouais, c’est un parcours qui est hyper douloureux parce que à chaque fois qu’on va chez un nouveau thérapeute, on se remet en vulnérabilité. On se redemande pourquoi… enfin moi, ça m’a vraiment à chaque fois remise en situation de me dire que je m’inventais des problèmes, que finalement ça allait. Parce que j’ai mis du temps à trouver quelqu’un qui voyait derrière aussi mes masques et mes techniques d’évitement comme ça. Et je suis contente d’avoir trouvé maintenant, mais c’est vrai que ça a été super long et un énorme boulot en fait, dont on parle évid… effectivement pas beaucoup.

[Musique]
[Claire-Selma]

Finalement, après plusieurs tentatives, Pauline trouve quelqu’un avec qui elle peut creuser. Je ne sais pas vous, mais moi j’admire cette détermination à tenter, à verbaliser que ça ne va pas, et à se dire que c’est normal de recommencer, même si c’est dur. Moi, j’ai mis longtemps à aller en thérapie. Je disais des choses très intelligentes comme : “je ne vois pas l’intérêt de déverser son mal-être entre quatre murs. Il y a des choses qui sont comme ça et puis c’est tout.”
La réalité, c’est que j’avais sans doute un peu peur. Je ne sais pas de quoi exactement. Je me trouvais des excuses et surtout je faisais peser un fardeau assez lourd à la personne avec qui je vivais. Cet équilibre entre parler et ne pas faire peser un poids trop lourd à la personne à qui on s’adresse est dur à trouver. Pauline m’a expliqué que dans son cœur, la thérapie était justement ce qui lui avait permis de rester avec son compagnon. Souffrant lui aussi de troubles dépressifs, la relation a mis du temps à se stabiliser et la réalité grâce à cette soupape que constitue la thérapie.

[Pauline Harmange]
ça fait dix ans qu’on est ensemble, je pense que ça doit faire quatre, cinq ans que je trouve qu’on a trouvé l’équilibre là-dessus. Il a fallu que y ait des moments où ça se passe pas bien entre nous. et que moi je me… J’arrivais à un point où je me disais vraiment là que j’ai fait tout ce que je pouvais et ça ne suffit pas. Donc en fait c’est que ce n’est pas moi le problème. En fait, voir mon compagnon allait chez la psy et allait progressivement un peu mieux. Déjouer des trucs qui lui appartiennent entièrement hors de ma présence, que je ne sache pas ce qu’il ait fait, que ça lui appartienne totalement et que je suis en dehors de ça, ça m’a sorti de cette espèce de bulle hermétique du couple. Et ensuite il y a eu un moment, il y a quatre ou cinq ans, quand lui n’allait pas bien, il a réussi à me dire “là en ce moment ça va pas, j’ai pas envie d’en parler mais ça me fait plaisir qu’on soit ensemble et qu’on partage des moments, etc.” Je me suis rendue compte qu’il y avait un truc qui avait changé. Donc moi, je n’avais pas le besoin de savoir exactement ce qui se passait dans sa tête pour essayer de trouver des solutions, etc. Et qu’on pouvait juste, que je pouvais juste accepter d’entendre « je ne vais pas bien mais ça va passer parce que tout est en place pour que ça passe » et que ça me rassure sur la pérennité de l’équilibre qu’on avait enfin trouvé. Et je pense que s’il n’y avait pas eu ces décisions individuelles, chacune de notre côté, d’aller voir des psys, je pense qu’on serait plus ensemble aujourd’hui parce qu’on n’aurait pas pu accepter ça, cette cohabitation des dépressions de l’un et de l’autre et les manières totalement différentes qu’elles ont de se manifester. Parce qu’en fait on n’aurait pas d’espace pour en parler, ailleurs que à l’intérieur du couple. Je sais que c’est absolument pas universel mais pour moi la thérapie individuelle est un socle hyper important du fait qu’on est encore ensemble.

 

[Fond musical]
[Claire-Selma]
Alors bon an mal an, je me suis traînée en thérapie. Je l’ai fait à un moment où je pouvais, pas seulement mentalement mais également matériellement, cela coûte cher la thérapie. Les séances sont généralement comprises entre 40 Euros et 90 Euros. Il y a différents thérapeutes et différentes techniques et habitudes. J’en ai parlé avec Camille Tisseyre, hypnothérapeute et facilitatrice de groupe de parole. Sur le site de Camille Tisseyre, il est inscrit qu’elle a une pratique thérapeutique orientée vers la justice sociale et notamment féministe. Je lui ai demandé ce qu’elle entendait par là et pourquoi elle le précisait.

[En fond, sons de salutation «  Salut, Comment ça va ? »]

[Camille Tisseyre]
« Pour moi c’est impossible d’envisager qu’un thérapeute ou une thérapeute, puisse accompagner sans ce qu’on appelle sa carte du monde, sans sa vision de la société, sans ses valeurs. Les accompagnant et accompagnantes ne sont jamais neutres. A partir de ça, moi je me suis dit ok, mais autant poser moi mes valeurs que les gens sachent directement. Parce que de toute évidence, je serais incapable de m’en dissocier. Parce que qui je suis en tant qu’accompagnante, c’est quand même une bonne partie de moi. Mes valeurs vont m’animer et je vais être en colère avec certaines personnes que je vais accompagner parce que ce qu’elles ont vécu. En fait je trouve ça injuste et donc forcément je vais ressentir de la colère. Et je ne peux pas le nier, donc je préfère le dire. Donc je pense en ça que c’est important et àmon avis on devrait quand même tous et toutes poser nos valeurs qu’on sache qu’on va être accompagné.e par quelqu’un qui est anti-avortement. Typiquement, c’est quelque chose qu’on aurait bien envie de savoir avant d’aller parler de ça avec un ou une psy par exemple. Au contraire, quelqu’un qui est bénévole dans un centre LGBT, typiquement c’est quelque chose qu’on a besoin de savoir aussi pour savoir dans quel cadre on va être accompagné.e, avec quelle carte du monde, quelles valeurs, quels filtres. Parce que je pense que c’est complètement utopique de croire qu’on peut les laisser de côté dans l’accompagnement.

 

[Claire-Selma]

C’est d’ailleurs pour cela qu’il me semble très important de parler de ces séances de psy à des amis, à des personnes qui nous connaissent et à qui on peut dire : « Ils s’est passé cela, je crois que ça m’a mis.e mal à l’aise » Parce qu’il y a forcément quelque chose de normatif dans la dimension d’aller bien, la thérapie peut être un lieu où on se réinvente, où on tente des hypothèses, mais à condition d’être en maîtrise du cadre et du référentiel. Un psychologue qui ne connaît pas, qui ne s’est pas formé à certains enjeux, va pouvoir énoncer des propos, au mieux à côté de la plaque, au pire, dévastateurs. Ainsi, sur les violences sexuelles, certains thérapeutes peuvent avoir tendance à délégitimer la parole, à minimiser les faits. Des listes de psy, dits safe, existent sur Internet et peuvent constituer une première base pour trouver un thérapeute formé à ces enjeux. Par ailleurs, pour casser cette dimension uniquement individuelle, il existe des groupes de parole.

[Au fond, autre voix non identifiée]
Et bien, moi depuis notre dernier cercle, un petit peu comme Camille, j’ai cheminé moi aussi sur ma rupture.
[Claire-Selma]
Là, dans le fond, vous entendez un cercle de parole organisé par Camille Tisseyre. Cela m’a beaucoup touché.e de pouvoir assister à ce cercle.

En les écoutant, j’ai eu des souvenirs de groupes de parole organisés par le collectif féministe dont je faisais partie il y a maintenant une éternité. Avant MeToo, avant les  discussions publiques sur les violences sexuelles, des personnes s’organisaient dans des salles de cours entre 19 et 21 heures et parlaient, pleuraient et essayaient d’aller mieux.

 

[Tintement de cloches- retour de la discussion en fond]

Comme ça, ça vous permet de pendant … 30 secondes/une minute terminer ce que vous avez dit.

[Claire-Selma]

Aujourd’hui, la discussion est bien plus organisée et cadrée. Camille Tisseyre a été formée à leur organisation et nous explique leur fonctionnement.

[Camille Tisseyre]

J’étais en train de lire un livre qui s’appelle Les femmes et la psychothérapie qui est un bouquin qui date des années 80 et qui pose les bases de ce que doit être une thérapie féministe. Dans ce bouquin, la personne qui l’a écrit s’appelle Susan Sturdivant. Elle pose déjà toutes les valeurs qui accompagnent la thérapie féministe et puis des pistes de choses à faire. Elle parlait de l’importance d’un accompagnement individuel mais aussi, du collectif, dans cette objectif de thérapie féministe, qui est de pouvoir permettre aux personnes de se ressentir actrices,acteurices même j’ai envie de dire, de leur vie. Donc moi j’ai décidé d’animer des ateliers autour de sujets qui me parlent ou qui me questionnent. Donc là, le premier c’était autour de l’avortement parce que moi aussi, j’ai l’avorté. Il y en a plusieurs qui se mettent en place pour permettre vraiment àd es personnes de se retrouver, de trouver un espace et puis de se raconter, de reprendre le pouvoir, entre guillemets, se dire « voilà que je suis » de reconstruire une identité et puis en même temps de voir d’autres personnes qui vivent la même chose. Et puis de plus tellement se définir par rapport à son problème ou ce qu’on a vécu, mais de se définir en tant que personne qui vient parler, qui vient dans un espace pour prendre soin d’elle ou de lui.

[Une autre voix non identifiée sur une ligne musicale]

Elles disent qu’elles appréhendent leur corps dans leur totalité.
Elles disent qu’elles ne privilégient pas telle de ses parties sous prétexte qu’elle a été jadis l’objet d’un interdit.
Elles disent qu’elles ne veulent pas être prisonnières de leur propre idéologie.
Elles disent qu’elles n’ont pas recueilli et développé les symboles qui, dans les premiers temps, leur ont été nécessaires pour rendre leur force évidentes.

Les guerrillères, Monique Wittig.

[Claire-Selma]

A côté de chez moi, il y a un café associatif qui accueille principalement des immigrés âgés, des chibanis. Eux aussi, ils parlent. Ce ne sont pas des ateliers organisés et sans doute que neuf fois sur dix, ils ne parlent pas des sujets qui les remuent profondément, mais il y a un lieu où ils sont attendus. Un lieu où quelqu’un va demander : « cela fait longtemps qu’on ne l’a pas vu,  est-ce qu’il va bien ? ». Ce sont aussi des lieux où s’organisent des solidarités, comme des caisses communes pour les rapatriements. Car parfois, il n’y a pas besoin de parler. Parfois, il y a simplement besoin d’une présence, d’un coup de main.
C’est ce que fait le collectif “Psy psy” situé sur le plateau des Mille vaches, ce collectif s’est organisé autour et avec des personnes ayant des troubles psys.
Voilà ce qu’explique dans une interview, une des membres du collectif:

[Autre voix]
« Concrètement aujourd’hui, quand on est interpellé soit par les proches d’une personne, soit par la personne elle-même, on commence par une première rencontre. Dans le cas où on serait contacté par des proches, on ne met pas le pied dans la porte, on a besoin de l’accord de la personne. Mais on peut accompagner les proches pour qu’elle pose leur limite et que tout le monde puisse trouver de l’aide. On est toujours deux personnes de Psy psy et on appelle ça le binôme de référence. Ce binôme, ce sont les personnes qui font le premier entretien, et qui seront en charge du suivi, ainsi que de la création et de la coordination d’une sorte de réseau, rhizome, trame ou toile de fond autour de la personne en souffrance. Ce réseau est constitué de tout un tas d’autres personnes hors du groupe Psy psy, les professionnels de la santé ou des voisins, amis, parfois inconnus, qui sont d’accord d’être dans ce réseau d’appui. »

[Claire-Selma]

Cela me fait penser aux groupes d’entraides qui ont été mis en œuvre durant les débuts de l’épidémie du VIH dans les années 80 et 90. Cette entraide était basée sur la carence des pouvoirs publics à répondre à cette épidémie qui touchait au départ en priorité les hommes homosexuels. Il n’y avait pas de consensus sur les causes de cette maladie et encore moins sur les moyens de la prévenir. Pourtant, l’auto-organisation s’est constituée sur des fondamentaux et une nécessité, une santé communautaire et des réseaux de solidarité. Cette solidarité a d’ailleurs dépassé la communauté homosexuelle masculine, des femmes lesbiennes ont énormément contribué à ces réseaux.

Ce n’est pas un processus tranquille de mettre en œuvre une santé communautaire et des groupes de soins. L’autrice HK décrit dans son ouvrage autobiographique Barge, un moment de crise. Elle est exclue du squatt où elle vit pour ne pas avoir respecté certaines règles. Une des membres du collectif lui écrit une longue lettre qui explique les raisons de cette exclusion. Elle conclut par : « On voudrait pouvoir t’accueillir à nouveau aux Tanneries, mais évidemment il faudrait s’y prendre différemment. Rien ne dit que cela sera possible. Des personnes ont mis un veto à ta présence. Tout cela sera réfléchi dans les prochaines réus de septembre. On reparlera de toi, mais on va aussi parler de nous, réfléchir à nous et à notre rapport à la folie et à la normalité. Réfléchir aussi à comment on fait ici quand quelqu’un ne va pas bien, pète un plomb ou déprime. »

L’idée ce n’est donc pas d’idéaliser le processus collectif. Les discussions collectives, l’auto-organisation, c’est long et compliqué. Je crois que l’important c’est peut-être d’essayer en poursuivant toujours le même but. L’émancipation de toutes et tous.

Je crois qu’une des choses qui m’a rendue le.a plus perplexe en faisant des recherches sur « Aller mieux ». Ce n’est pas la multiplication des coachs, sectes et autres groupes prétendant posséder les clés pour aller mieux. Ce qui m’a surpris.e, c’est l’hyper individualisme qui était prôné. Il fallait pratiquer le self-care, travailler pour prendre soin de soi et de soi seul. Or, la dépression est déjà une maladie qui nous conduit à nous centrer sur nous. Dans le monologue intérieur, dans les douleurs psychiques, on est déjà au centre et on est déjà seul. Alors oui, bien sûr, pour aller mieux, il s’agit de savoir ce qui fonctionne pour nous. Pratiquer un sport, marcher dehors, faire des activités. Et pour inventer et démêler les liens qui nous tiennent, la thérapie peut être un puissant soutien. Mais je ne crois pas que je puisse aller mieux en me concentrant uniquement sur moi. 

Je ne crois plus à la guérison solitaire. Je crois que l’objectif, c’est que nous allions mieux, collectivement. C’est une tâche complexe. Elle implique de dialoguer, ce questionner plus largement sur les liens que nous avons entre nous. Et la place qu’on laisse à la folie et les limites qu’on arrive à poser.

L’autrice Laura Nsafou développe une réflexion autour de ce qu’elle appelle la décolonisation du selfcare dans son blog Mrs. Roots. La décolonisation du selfcare, c’est le décentrage du soin des normes de la suprématie blanche, le perfectionnisme, la production. Elle écrit : «  décoloniser le selfcare, c’est penser, chercher et respecter d’autres imaginaires et savoirs, respectueux des considérations locales autour de la santé mentale. Peut-être que le selfcare n’est pas seulement comment se suffire à soi-même, comment s’épanouir seuls mais plutôt comment faire communauté autrement compte tenu des limites qu’on rencontre en ce moment. »

C’est un petit peu vertigineux, dit comme ça, mais je crois que des exemples existent. On le décortiquera notamment dans le prochain épisode, centré autour du travail et des manières collectives de s’organiser.

[Autre Voix ]

« Le salarié qui subit ces dégradations-là n’a pas toujours le déclic de faire appel à un syndicat ou aux institutions représentatives du personnel. C’est souvent, et heureusement, bien souvent, quelqu’un de l’extérieur qui lui conseille de faire quelque chose.

[Claire-Selma]

Pour aujourd’hui, j’ai demandé à Pauline, sa raison de ne pas disparaître. Elle m’a parlé des gens qui sont là et qui répondent, même quand on n’arrive pas à les appeler.

[Pauline Harmange]
Je devais voir ma sœur qui vit pas près loin de chez moi et ça a été une des premières fois où j’ai pas réussi à sortir du lit, genre c’était physique, ‘fin, j’étais vraiment incapable de bouger. Je me sentais hyper mal parce que je devais aller chez elle. Elle habite pas loin, donc c’était pas un énorme effort à faire. Et je lui ai envoyé un texto et je lui ai dit : »J’arrive pas à sortir du lit, c’est horrible, je suis désolée. » Et elle m’a répondu direct : « T’inquiète pas, j’arrive. » Alors que c’était moi qui devait aller la voir. Et en fait elle est venue me sortir du lit. Elle m’a fait à manger. Et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience que… ma dépression qui est énormément basée sur un sentiment de solitude qui n’est pas réel. En fait, je pouvais appeler à l’aide et qu’y avait des gens qui allaient répondre. Et c’était vraiment le.. un moment très très douloureux et en même temps hyper beau parce que j’étais tellement aimée. C’était vraiment bien.

[Musique]